
Les paradis perdus
Le feeling de Magic : The Gathering est ce qui m’y a précipité il y a 25 ans déjà. Une bonne partie de cette sensation excitante de découverte se fondait sur la curiosité, le mystère, les zones d’ombre entourant ces fantastiques (et moins fantastiques) illustrations, ces noms étranges, ces règles lapidaires et ces quelques citations laconiques. Le non-dit, l’entr’aperçu, le monde ou les mondes suggéré(s) par tel artefact à la fonction obscure, tel monstre exotique aux mœurs et au régime alimentaire sujets à spéculations, tel paysage chimérique.
Mon enthousiasme pour l’univers de Magic décru paradoxalement le jour où je m’aperçus qu’il existait une histoire développée conjointement aux sorties des nouvelles extensions. C’était à l’époque de Tempête – en l’an 1997 donc. En ouvrant l’un des petits fascicules fournis avec les cartes je découvris un récit d’aventures héroïques somme toute classique fait de voyages, de batailles, de romances et de trahisons, de méchants très méchants opposés à des gentils malmenés mais toujours vainqueurs. Les scenarii n’étaient pas particulièrement brillants, ni tout à fait mauvais, évoquant surtout les comics américains héritiers des pulps bon marché et leurs rebondissements sans fin. « Convenus » serait sans doute le terme approprié. Mais après tout, certains de mes jeux vidéo favoris reposaient sur des prémisses narratives plus banales ou plus maladroites.

Pourtant le simple fait de connaître ce récit unique et ses protagonistes, ainsi que leurs motivations et les détails des mondes où ils évoluaient, suffit à priver définitivement Magic du grand mystère qui faisait sa substance. De façon significative, c’est également l’époque où les illustrateurs furent mis au diapason, interprétant ad nauseam des thèmes, des races et des personnages déjà conçus pour eux. Connaître la localisation précise et l’étendue de la forêt de Llanowar, sa faune, le nombre et la nature des clans elfiques qui vivent sous ses frondaisons, me la rendit en quelque sorte plus circonscrite, plus définitive, refermant une bonne partie des chemins que mon imaginaire avait rêvé d’emprunter.
Le cadre le plus luxuriant, le plus vaste, le plus insolite, engendré par une équipe de créatifs, ne peut rivaliser même de loin avec l’infinité des possibles entrevus. Au commencement le monde de Dominaria se redessinait au fil des parties ou des rêveries éveillées ; il cessa d’appartenir complètement au joueur dès lors que lui fut imposé un récit fixe, centré sur les péripéties d’un petit groupe d’individus. Au lieu de couver dix mille histoires possibles, le jeu se contentait finalement de n’en raconter qu’une seule, une fois pour toutes.

Cela nous ramène à mes motivations. Pourquoi, moi qui méprisais la plupart des jeux de société ou de cartes traditionnels, me suis-je jeté d’aussi bon gré sur celui–là ? J’ai déjà brièvement répondu à cette question dans l’introduction à cette série d’articles, mais attardons-nous davantage sur le sujet. Entre mes 12 et mes 14 ans, époque où je découvris Magic, mon imaginaire était visuellement boulimique ; je pouvais investir des heures nombreuses dans la contemplation de pochettes d’album, de couvertures de romans ou de revues de S.F. Les couvertures des ouvrages au format poche en particulier marquèrent mon enfance, bien avant que je fusse en mesure d’en lire le contenu – généralement sans grand rapport avec l’illustration. Je rêvais aux mondes sur lesquels ouvraient ces petites lucarnes. Même les images les plus maladroites semblaient receler des messages cryptiques, un pouvoir secret ; une magie en somme.
Certains livres d’art éveillaient également ma curiosité. Je me souviens ainsi avoir feuilleté à d’innombrables reprises un catalogue des œuvres du peintre Roland Cat qui me fascinaient par leur cadre à la fois familier, paisible et menaçant, leur atmosphère oscillant entre lugubre et féérique.

Je tentais d’imaginer une histoire, un scénario reliant ces toiles disparates mais participant d’un même monde. Dans mon esprit un voyageur parcourait ces paysages oniriques, se reposait près du ruisseau murmurant, visitait les ruines englouties, tentait d’échapper à une tempête imminente, au fil des tableaux.

En outre, la fantasy exerçait déjà sur moi un puissant attrait – ma mère m’avait lu vers l’âge de 10 ans Bilbo le Hobbit puis Le Seigneur des anneaux, dans lesquels je m’étais replongé ensuite avec avidité. Magic, à la manière dont je perçu d’abord le jeu, proposait le même genre de pérégrination que le catalogue de Roland Cat, mais dans un cadre fantastique encore plus séduisant pour moi à l’époque.
Voyons, se demandera-t-on, puisque je me désintéressais à peu près totalement des jeux en eux-mêmes, pourquoi ne pas avoir simplement cherché à collectionner les cartes, en faisant fi du gameplay ? Parce que ce dernier offrait un fil conducteur pour relier toutes ces images. Ce fut ma porte d’entrée. Le jeu proposait des règles d’interaction entre les concepts illustrés sur les cartes ; il me suffisait de les apprendre (non sans difficultés) pour que les pièces viennent se disposer sur la table, dessinant à chaque fois une nouvelle trame qu’il suffisait à mon esprit de compléter et d’enrichir. Une grande part d’imprévu était injectée par l’hostilité de l’adversaire, autant que par la dimension aléatoire des « mains » piochées, ce qui faisait ressembler chaque partie à une sorte de cadavre exquis[1].
Magic était en cela beaucoup moins directif et plus riche que la plupart des jeux vidéo. Quoi de plus évocateur en effet, qu’une table couverte de cartes intitulées Tour d’ivoire, Mine rugissante, Cité d’airain, Sindbad, Guivre écailleuse ? Si la partie s’éternisait, la surface de jeu finissait par tenir du Jardin des délices de Jérôme Bosch. Le fait qu’une illustration ne révèle pas clairement le fonctionnement d’un sort était pour moi encore plus savoureux, puisqu’il me fallait me figurer les choses par moi-même. Même si je dois admettre que le fonctionnement de la guivre était assez limpide.
La magie de la cognition humaine, par l’entremise de notre capacité à l’abstraction, permet de provoquer une expérience mentale complexe à partir de simples pièces de carton couvertes d’un peu d’encre. En cela, le jeu « papier » demeure à la fois plus exigeant et plus fertile qu’un jeu vidéo comme Magic Arena, car ce dernier se charge de résoudre la plupart des échanges à la place du joueur, et encombre l’écran de signaux visuels manifestant chaque action, qui viennent se substituer aux interactions imaginaires. Ainsi, lorsqu’une créature attaque sans être bloquée, la carte vient littéralement frapper le joueur adverse incarné à l’écran par une icône affectant l’image d’un planeswalker : elle se déplace jusqu’à lui, et un choc est signifié par un tremblement accompagné d’un bruitage d’impact, comme si c’était la carte elle-même qui opérait physiquement l’attaque. Ce qui ne signifie pas qu’Arena n’ait aucun mérite propre, en particulier en termes d’accessibilité ; mais il faut souligner encore une fois toute la spécificité d’un jeu de cartes « réel ».

L’illustration et le design, l’éventuel texte d’ambiance, mais aussi le nom, le type et bien sûr les mécaniques de jeu participent au caractère propre de chaque carte. C’est ensuite l’interaction entre ces cartes qui invoque à chaque partie un petit monde et raconte à chaque fois une histoire différente, dans laquelle le joueur se projette et s’investit. Les premières versions du jeu paraissaient mieux se prêter à cette « balade » mentale. Pour moi la raison en est paradoxalement l’absence de narration imposée au joueur (ou ma propre ignorance de celle-ci) : les noms des sorts demeuraient énigmatiques, faisant référence à des sociétés, des personnages, des lieux inconnus ou seulement esquissés. Tout était possible parce que rien n’était encore écrit, ou seulement assez pour aiguillonner l’esprit. L’imaginaire était libre de se déployer au gré de la partie et des nouvelles interactions.

Il semble que ce « flou artistique » ait été au départ assumé, à en croire le principal concepteur de Magic, Richard Garfield :
« De mon point de vue, les jeux et les histoires sont souvent en désaccord. Une histoire implique des personnages construits et une structure narrative linéaire, alors que les jeux font du joueur le personnage principal, et ce sont ses choix qui déterminent comment les choses vont se dérouler[2]. Un personnage imaginé par un tiers a, pour moi, un écho moins puissant chez le joueur que ce qu’on peut lui faire ressentir en lui créant un univers dont il est l’acteur principal. Le scénario peut détourner l’attention de la meilleure histoire possible — celle racontée par la façon dont le joueur déroule cette histoire. »
Certains artistes de Magic appliquent consciemment cette philosophie du « libre cours » dans leurs illustrations. Drew Tucker affirme ainsi laisser délibérément le spectateur face à une image incomplète, aux détails flous, afin d’encourager l’esprit vagabond à achever l’histoire qu’il a commencé[3]. Il pousse ainsi le « regardant » à s’impliquer personnellement dans l’univers qu’il donne à entrevoir, préservant des espaces vierges destinés à être fertilisés par l’imagination de ceux qui s’approprieront l’œuvre. Dans son interview pour The Duelist n°3 (1994), Tucker va jusqu’à citer Alfred Hitchcock et la puissance suggestive de ses films, y compris — surtout — dans les scènes les plus violentes, qui parviennent à secouer le spectateur sans presque rien lui montrer de façon explicite, comptant sur l’imagination pour mettre en scène le hors-champ.
Nous pourrions être portés à croire que les seuls à préférer cette approche non-directive de l’illustration sont des artistes « anti-classiques » tels que Tucker. Cela n’a rien d’une évidence, comme le démontrent les propos de la figure tutélaire du classicisme dans Magic, le peintre Donato Giancola, actif chez WotC de 1996 à 2011. Profondément influencé par la Renaissance italienne et par les « Primitifs » flamands, détenteur d’un diplôme des beaux-arts reçu summa cum laude, récompensé par de nombreux prix dont l’un décerné en 2004 par le très conservateur Art Renewal Center[4], il déclare cependant :
« J’ai le désir de raconter des histoires qui ne se résolvent pas tout à fait d’elles mêmes[5]. […] Je n’aime pas que les gens cheminent dans ces images avec des présomptions quant à leur destination, […] je préfère les inciter à apporter leurs propres interprétations. »
A la lumière d’une telle déclaration, il n’est pas surprenant que Giancola prenne position en faveur d’une plus grande licence artistique : « Quand les commandes étaient réellement ouvertes au commencement, vous pouviez amener beaucoup de cette passion personnelle et de cet intérêt et injecter cela dans l’art[6]. »
Revenons au problème du lore. Dans le cas de l’illustration d’une carte une histoire imposée peut venir « parasiter » une image en lui donnant un sens univoque, inscrit dans un cadre spatial et temporel précis, tout en encombrant inutilement la composition avec des personnages qui risquent de détourner l’attention du joueur loin du sujet proprement dit. Prenons comme cas d’école l’artefact Portail de Belfe édité en 2000 avec l’extension Némésis :

En dépit de tout l’intérêt que je porte (ou portais) au travail de l’illustrateur Mark Tedin en règle générale, cette image me pose problème pour plusieurs raisons. Les points focaux sont ici le seigneur elfe, le cadavre de sa fille bien-aimée, et à l’arrière-plan l’humaine Takara. Les postures sont théâtrales, la douleur et la colère se lisent sur les traits et dans l’attitude d’Eladämri (le personnage central), contrastant avec le visage apaisé de sa fille, morte après un acte rédempteur ; enfin l’urgence est manifestée par la gestuelle de Takara, sa main agrippant celle du patriarche, son expression se faisant pressante[7]. La scène fonctionne bien, dans un registre tragique assez paroxystique.
Mais tout le problème est là : c’est une scène qui nous est donnée à voir, non un artefact. Celui-ci est présent à la marge, en tant que simple accessoire permettant la transition vers la suite de l’histoire, non comme protagoniste à part entière. Il n’est même pas inclus entièrement dans le cadre de l’illustration, et ressort beaucoup moins dans la composition que les personnages affublés de vert. En ce qui me concerne, si je décidais de mettre en jeu cette carte, je me moquerais bien de savoir que le portail est celui franchi par Eladämri grâce à l’aide de sa fille Avila alias Belbe (ou Belfe) transformée en agent phyrexian, pas plus que je ne souhaiterais voir le seigneur des elfes gesticuler au premier plan de l’image, volant la vedette à l’objet magique.

En outre l’ensemble n’est pas cohérent avec la mécanique de la carte : celle-ci nous propose de choisir un type de créature, puis de faire entrer en jeu par l’entremise de l’artefact une carte de créature du type idoine. Or rien ne nous indique de façon claire que les trois protagonistes sont bien de même race, et la lecture du lore nous confirme que nous avons affaire respectivement à une cyborg (toutefois d’origine elfique), à un elfe et à une humaine !
Mais cette dissonance me gêne beaucoup moins que le fait d’imposer à l’image des créatures identifiables et connues : cela semble restreindre la capacité du portail à celles-ci, limitant visuellement son intégration à un deck ne contenant rien de semblable, et affectant encore une fois l’immersion et l’appropriation par le joueur du jeu qu’il a lui-même conçu. En lui imposant de surcroît une histoire qui ne lui convient peut-être pas, et des créatures qu’il déteste – qui sait.
Sur le thème du portail magique, voici trois exemples qui selon moi s’intègrent mieux au jeu tout en dégageant davantage de mystère, et sont par conséquent plus évocateurs pour le joueur doté d’imagination :
Ce triptyque d’illustrations issues d’éditions différentes offre des variations intéressantes sur un thème commun. L’artefact Portail crypté montre une porte richement décorée mais d’aspect essentiellement mécanique, dépourvue de références à une couleur ou une espèce particulière, « neutre » en quelque sorte. Le mystère naît de la porte hermétiquement scellée, sertie dans un décor évoquant à la fois le temple et le coffre-fort de banque.

L’enchantement Gate to Phyrexia (« portail/porte vers Phyrexia ») adopte un aspect beaucoup plus sinistre, non sans quelques réminiscences gigeriennes parfaitement adaptées au Noir et au monde bio-mécanique infernal de Phyrexia. L’image joue sur les clairs-obscurs et sur un inquiétant décor de tuyaux et de parois organiques évoquant autant un visage que de vastes entrailles. Une lumière bleuâtre filtre à travers la porte, suscitant la crainte mais aussi la curiosité à l’égard du monde qui se trouve au-delà du seuil.

Enfin l’enchantement de terrain Tourach’s Gate (« portail/porte de Tourach »), également noir, figure une rivière sanglante sinuant entre des berges craquelées jusqu’aux mandibules ouvertes de ce qui ressemble à un monstrueux scarabée aux élytres déployées. L’idée commune aux deux cartes noires, toutes deux illustrées par Sandra Everingham, est évidemment celle du portail se confondant avec la gueule d’une figure monstrueuse, qui semble prête à dévorer l’infortuné voyageur – ou la victime sacrificielle.

Elle puise dans le répertoire médiéval de la gueule du Léviathan, ou bouche de l’Enfer, bien connue à travers les miniatures de manuscrits, tableaux et sculptures ; le motif a été notamment réinvestit par le symboliste Alfred Kubin dans plusieurs de ses œuvres au tournant du XXe siècle. Ce thème du Léviathan-passage transmet avec force l’idée d’un lieu de souffrance et de terreur, et Everingham exploite à son tour un archétype connu tout en le renouvelant.
J’admets que les mécaniques de Gate to Phyrexia et de Tourach’s Gate sont plutôt celles d’autels sacrificiels, et que le Portail crypté présente deux « serrures » en forme de main humanoïde, ce qui limite conceptuellement le type de créatures susceptibles d’ouvrir et donc de franchir le portail[8]. Mais dans les trois cas les illustrations font honneur aux titres des cartes, et ne sont pas polluées par des figurants importuns.
Ces peintures se consacrent pleinement au thème de la carte, lui concédant toute leur surface et installant efficacement un décor qui est à la fois le sujet de l’œuvre et le cadre potentiel de scènes (probablement dantesques) issues de l’imaginaire du joueur. Le Portail crypté est pourtant plus récent que le Portail de Belfe que nous avons vu plus haut, mais c’est l’intégration de ce dernier dans une scène-clef de la narration – et par conséquent l’intégration dans ce dernier d’une scène-clef – qui engendre ce résultat mitigé, encombré de personnages. Sans que les maladresses de ce genre soient devenues systématiques, elles se firent plus courantes à partir du moment où le jeu fit entrer « de force » les personnages et l’histoire dans les cartes.
Le fantasme de la marque-univers
Un jeu de cartes à collectionner n’a pas l’obligation d’être semblable à un livre illustré ; les combinaisons infinies des cartes ne sauraient restituer un récit unique et linéaire, malgré les efforts de WotC dans cette direction – elles ne sont au mieux que les pages d’un grand livre éparpillées et rassemblées au hasard. Pourquoi alors persister à vouloir nourrir le public de ces fictions romanesques, qui plus est d’une qualité d’écriture souvent douteuse ?

La réponse est triviale. D’une part, il est probable que les responsables de la « marque Magic » présument, à tort ou à raison, qu’une majorité de joueurs se montreraient déconcertés par un univers détaché de toute narration définie – or les responsables commerciaux n’aiment pas l’idée que les joueurs soient déconcertés. Des récits riches en rebondissements peuvent contribuer à renforcer la « fidélité » à cet univers, et accroître l’attente vis-à-vis des nouvelles extensions – sur le principe vénérable et éprouvé du feuilleton. Mais aussi et surtout, les histoires peuvent se vendre sous forme de romans, de jeux vidéo, de bandes-dessinées, de films, de séries, qui génèrent à leur tour d’autres offres telles que jeux de plateaux, figurines à collectionner[9]…
C’est là le projet central, incontournable, celui qui a dicté d’une façon ou d’une autre la plupart des choix esthétiques et narratifs de Magic ces 25 dernières années : l’élaboration d’une franchise véritablement « poly-médias ». Ce projet peut mobiliser des cohortes de spécialistes très diplômés ; il découle d’un paradigme qui tend à s’imposer dans toute l’industrie du divertissement depuis les années 1980. Le développement de licences sur médias multiples est à l’œuvre derrière les grandes évolutions de la saga Star Wars, l’une des pionnières dans ce domaine, mais concerne aussi l’univers des super-héros Marvel, Pokémon et bien d’autres géants de l’entertainment. A l’origine née du développement d’une offre de produits dérivés tirés d’une œuvre-matrice, l’approche commerciale a évolué jusqu’à la conception de différents sous-produits narratifs basés sur le même univers, de moins en moins subordonnés les uns aux autres.
En fait, l’évolution actuelle de nombre de franchises tend à emprunter depuis le début des années 2000 la voie très lucrative du récit « transmédias », comme on a pu le constater avec Pokémon ou Yu-Gi-Ho[10]. C’est aussi le cas de licences plus discrètes comme Dark Crystal. Selon cette doctrine commerciale chaque nouvelle gamme de produits se prêtant à une narration, quelle qu’en soit la nature, doit venir s’intégrer pleinement au « canon » en place, complétant et enrichissant ce dernier… Mais multipliant ce faisant les risques d’incohérences. Certaines œuvres sont d’emblée conçues dans la perspective de participer à ce type d’expérience, alors que d’autres sont pensées à priori comme des récits singuliers avant de se voir greffer des « extensions », généralement en cas de succès critique et/ou commercial – nous pouvons songer à Matrix par exemple.
L’idée derrière ces développements sur supports variés voire ces créations transmédias est simple et très rémunératrice : construire un univers complet, reconnaissable à son atmosphère, à ses thématiques et à son esthétique, à ses personnages récurrents, à son Histoire avec un grand « H », tout en conservant tant bien que mal un canon cohérent, c’est-à-dire en évitant les contradictions entre les fils narratifs, ou les entorses à « l’esprit » de cet univers tel qu’il a été déterminé une fois pour toutes. Cela n’a rien d’une sinécure lorsque les suites, préquelles, reboots et autres spin-offs s’enchaînent et s’enchevêtrent, que les fans rugissent à la moindre incartade, que des publics de tous âges et de tous milieux doivent être séduits, que les puritains convulsent l’écume aux lèvres pour un téton ou une romance. D’où la nécessité de s’appuyer sur une équipe compétente.
Car le cosmos ainsi établi n’a pas pour vocation d’être un simple jardin grandiose dans lequel le joueur-spectateur – ou l’artiste – déambulerait en suivant sa fantaisie. Ce cadre, généralement tissé à partir d’une fiction initiale, est destiné à servir de matrice narrative autant que de mètre-étalon à tous les récits subséquemment mis sur le marché. Cela permet d’économiser une partie du processus de développement d’un scénario inédit, puisque le décor est planté et que les grands archétypes narratifs sont déjà en place – dans le cas de Star Wars par exemple la Force, les Jedi, le combat entre Lumière et Côté Obscur, les sabres-lasers, l’hyperespace, le cadre type space-fantasy, la dimension tout-public, etc. Les écrivains et artistes fraîchement embauchés peuvent aisément se référer à un corpus canonique préexistant, définissant les limites de ce qu’il est possible d’écrire ou non, la tonalité générale, et les grandes orientations envisageables pour le récit.

Mais l’intérêt le plus décisif d’une telle construction réside dans son potentiel de fidélisation des spectateurs-joueurs-consommateurs : ceux-ci seront naturellement portés à aller vers un univers qu’ils connaissent, et auquel ils adhèrent déjà. Les gens aiment chausser leurs vieilles pantoufles. Bien entendu cet univers (ou ce « multivers ») sera aussi suffisamment vaste et ouvert pour constituer un réservoir inépuisable d’histoires adaptables à tous les médias commercialement envisageables. Il s’agit en somme d’un processus normatif lié au concept de branding, encadrant l’élaboration des nouveaux produits au plan artistique, limitant les risques de « hors piste » de la part des collaborateurs, tout en donnant au consommateur ce qu’il désire : un lieu qu’il connaît, où il se sente chez lui, dont il maîtrise les codes, qui n’exigera pas un effort d’appréhension supplémentaire de sa part, et qui ne le surprendra jamais au point de le déstabiliser – en principe.
Le client sera néanmoins stimulé par la recherche de nouvelles informations au sujet de cet univers dont la connaissance reste perpétuellement inachevée, informations livrées d’une façon sporadique et « éclatée », encourageant les échanges entre aficionados, la constitution d’une communauté, la quête de nouveaux produits. L’enjeu en définitive est de susciter la fidélité à une marque qui se fond dans l’univers qu’elle met en scène, et se confond avec lui. Mais, bien entendu, pour que cette « méta-narration » se mette en place, il faut d’abord écrire des récits.
Pourtant, à l’exception d’un nombre assez réduit de jeux vidéo, seul un jeu de cartes offre au contraire la possibilité de s’affranchir de tout récit linéaire et prédéfinit. Telle qu’elle a été conçue, pour des raisons qui semblent relever à la fois de choix délibérés et de contraintes matérielles, la première édition de Magic ne s’encombrait d’aucun scénario. Le cadre était celui d’une fantasy relativement générique, parsemée ça et là de quelques trouvailles originales, et amplement égayée par l’interprétation très libre des illustrateurs. Puis l’aînée des extensions du jeu, créée dans l’urgence face au succès massif d’Alpha, fit le choix – là encore revendiqué par R. Garfield – de puiser dans un vaste répertoire d’inspiration folklorique : les fabuleuses Mille et une nuits.
En seulement quelques semaines le concepteur se fit un devoir d’engloutir cette somme de contes, de légendes et de paraboles morales issus de différentes traditions d’Orient et d’Afrique du nord, de déterminer quels éléments étaient intégrables, tout en cherchant comment traduire ceux-ci en termes de jeu, et en créant de toutes pièces certaines cartes – respectant néanmoins l’esprit originel dans leur aspect[11]. Le set résultant de ce travail de compilation et de synthèse ludique fut sobrement nommé Arabian Nights : quoique présentant encore des incohérences de gameplay au regard des standards actuels, il s’agit d’un petit bijou d’immersion.
Mais, parmi tous les folklores libres de droits, pourquoi Les Mille et une nuits ? Soyons honnêtes, la sortie du très apprécié Aladdin de Disney moins d’un an auparavant ne fut peut-être pas entièrement étrangère à cette décision, bien que personne n’en fasse état à ma connaissance… De façon plus avérée, la BD Ramadan, inscrite dans le cycle The Sandman scénarisé par Neil Gaiman servit de déclencheur – nous en reparlerons. En tout état de cause, cela n’est sûrement pas l’unique raison. L’abondance et la diversité des trames, des protagonistes et des territoires embrassés par ce patchwork de récits, constitués à des époques diverses, permit à Garfield d’en offrir une réinterprétation populaire et contemporaine fort libre qui, à l’instar de l’édition Alpha, se prêtait à toutes les rêveries possibles.
Magic se muait en métaphore de l’histoire de Shéhérazade qui, pour échapper au funeste sort à laquelle elle était promise par son époux le sultan, le tint en haleine en dévidant nuit après nuit mille et un contes sages ou étonnants – comme autant de parties de cartes aux dénouements imprévisibles. Garfield aimait ce curieux enchâssement et cette rejouabilité, comparables aux nuits sans cesse recommencées. Il est révélateur à ce titre que sa carte favorite soit, précisément, celle intitulée Shahrazad : cette dernière permet aux joueurs de débuter une sous-partie de Magic avec les cartes dont ils disposent, puis de revenir à la partie antérieure une fois le jeu secondaire achevé… Évidemment la présence de plusieurs Shahrazad au sein d’un même deck peut amener à jouer un nombre élevé de parties secondaires, tertiaires, quaternaires, etc. Le jeune docteur en mathématiques ne pouvait qu’apprécier les implications philosophiques et logiques de cette facétieuse mise en abîme.

Malgré son succès, Arabian Nights fut la première et la dernière édition à prendre officiellement pour contexte des histoires issues d’une tradition folklorique véritable. On peut déplorer cet état de fait, d’autant que WotC s’est permis en plusieurs occasions de développer des extensions « à thème » très clairement fondées sur des cultures mythologiques du monde réel, au point de ressembler à des ersatz de celles-ci. C’est en particulier le cas des blocs Kamigawa, Theros et Amonkhet, respectivement tirés des folklores japonais, grec et égyptien. En 1996, le bloc Mirage s’inspirait de façon très libre et fantaisiste de cultures diverses du continent africain, tout en y greffant certains thèmes et esthétiques venus d’Europe, autour notamment de la chevalerie ou de l’Empire romain. Cette hybridation accoucha d’un monde (ou plus exactement d’un continent) héroïco-fantastique africanisant qui, pour n’être pas dépourvu des travers liés à un regard essentiellement européen sur ces cultures, offrit des images assez savoureuses et inattendues, comme ce dragon majestueux survolant une savane peuplée d’éléphants[12].
Depuis 2013, le monde de Theros en revanche se contente de n’être qu’une émulation du monde grec antique – pourtant libre de droits – aux noms maladroitement camouflés, tout juste assez « différente » pour être compatible avec l’exploitation d’une propriété intellectuelle. Le copié-collé frise parfois le ridicule, certains héros ou créatures tenant plus du plagiat paresseux que de l’hommage ou du clin d’œil. Tant à travers les illustrations que par les titres, textes d’ambiance ou mécaniques des cartes, nous reconnaissons sans peine le mythe de Prométhée, l’homme volant Icare, les sortilèges de Circé, plusieurs dieux et déesses dont les noms sont soigneusement écorchés, le passage du Styx à l’entrée des Enfers, Sisyphe et son rocher, le chien Cerbère, le cheval de Troie, le colosse de Rhodes, la boîte de Pandore, etc., etc.
Pourquoi ? Pourquoi ces pastiches grossiers, pourquoi déguiser de la sorte des récits profonds, innombrables, enrichis par maints siècles d’histoire, trouvant encore aujourd’hui une résonance dans l’environnement culturel qui est le nôtre ? Pourquoi préférer ce jeu de dupes, au lieu d’en appeler explicitement à la puissance évocatrice des mythes anciens ? Osons ajouter que le jeu y eut gagné une dimension discrètement pédagogique – mais, comme nous le verrons bientôt, ce terme revêt aux yeux de l’actuelle compagnie une connotation tellement négative qu’elle le ferait presque passer pour une grossièreté.
Insistons là-dessus, pourquoi cette mascarade ? Probablement pas en raison d’une pieuse révérence, ni par angoisse de ne pouvoir se défaire d’un carcan narratif trop rigide : dans la mythologie coexistent une myriade de récits, s’épanouissant souvent à travers de nombreuses versions, fréquemment très différentes les unes des autres[13]. Il n’est guère difficile d’y opérer une sélection visant à n’en conserver que les éléments correspondant le mieux à un projet donné.
En outre, l’interprétation des mythes grecs a connue une postérité nombreuse et variée, ne regimbant pas toujours devant le sacrilège, comme peuvent en témoigner l’histoire moderne de la peinture et celles de la sculpture, du cinéma, du théâtre, de la danse, de la littérature et de la bande-dessinée, ou même du jeu vidéo. Des créations bien plus iconoclastes n’ont pas craint de revendiquer pour elles-mêmes les noms terribles des anciens, qu’il s’agisse des « beaux-arts » ou de la pop culture. Rappelons qu’au début des années 1980, certains n’ont pas rougi à l’idée de réinterpréter intégralement l’Odyssée sous la forme d’un space-opera animé franco-japonais figurant le navire d’Ulysse comme un vaisseau spatial et l’affublant d’un compagnon robotique prénommé Nono. Pour autant que je sache, cela ne souleva aucun scandale majeur. Non, la raison de la frilosité de WotC tient décidément en deux mots : propriété intellectuelle.
Dès le milieu des années 1990, il devint en effet de plus en plus impensable de ne pas miser sur le développement d’un récit unique, propre au jeu. Cette stratégie autorisait notamment à spéculer sur des créations sous licence, plus faciles à exploiter et à contrôler par WotC, et simples à adapter sous forme de produits dérivés exclusifs. L’extension qui suivit Arabian Nights, intitulée Antiquities (1994), commença par conséquent à élaborer une trame un peu plus définie en brodant à partir de l’univers à peine esquissé dans Alpha.
Cette trame demeurait floue et peu contraignante au plan artistique, s’articulant autour d’une vaste guerre fratricide entre des mages-artificiers ; elle n’eut sans doute qu’un impact limité sur la façon dont les joueurs reçurent le nouveau set, ce cadre étant surtout prétexte à commercialiser quelques illustrations et nouvelles dans des magazines au tirage relativement faible. Elle posa néanmoins les fondations sur lesquelles allait venir s’édifier un univers de plus en plus étoffé et contrôlé, particulièrement à partir du bloc Ere Glaciaire (1995-96). Magic fut mis ainsi progressivement au service de ses potentiels produits dérivés. Le jeu de cartes ne constituait plus une fin en soi mais un moyen de développer une offre complète couvrant différents média. Le point de bascule vers un univers scénarisé entièrement au service de la sacro-sainte Propriété Intellectuelle se situant, comme il a été dit, au seuil du bloc Tempête (1997-98).
Méditons les paroles acrimonieuses de Jesper Myrfors, le tout premier directeur artistique :
« Originellement le monde de Magic devait être ce que les joueurs créaient dans leurs têtes. Nous fournissions une boîte à outils d’éléments que les joueurs pouvaient employer pour leurs propres fantaisies. Puis il fut décidé (c’était avant Hasbro au passage) que l’argent se trouvait dans la possession d’une P.I. [Propriété Intellectuelle, NdT], donc ils tentèrent désespérément de prendre des éléments de Star Trek et Star Wars et de les intégrer à une licence de fantasy ouverte… Médiocrement. Tout tourne autour de la construction d’une propriété intellectuelle reconnaissable. Voilà pourquoi vous voyez de plus en plus de personnages répétés sur les cartes. Ils ne veulent pas que vous conceviez un monde issu de votre propre imagination dans la mesure où il est bien plus rentable de vous en vendre un. Vous ne pouvez pas faire un film de merde faiseur de fric sans personnages de merde faiseurs de fric. C’est un business centré sur le marché et mené par le fric, ce n’est pas de l’art. Et même si quelques artistes vraiment époustouflants travaillent sur le jeu, des artistes bien meilleurs que je ne le serai jamais, le résultat final n’est pas de l’art, c’est un produit et ce n’est même plus un produit conçu pour être un grand jeu d’abord et avant tout[14]. »
Aujourd’hui, davantage que de simples « créatures », l’histoire met en avant des personnages ayant le statut de planeswalkers (littéralement « marcheurs des plans », anciennement baptisés arpenteurs). Dans le lore de Magic, les joueurs eux-mêmes sont des planeswalkers, c’est-à-dire des mages particulièrement puissants capables de voyager d’un monde à l’autre. Ces entités ont eu le privilège paradoxal de se voir représentées sous la forme d’un nouveau type de cartes à partir de 2007, devenant des sortes d’assistants-mercenaires au service du joueur.
Or, les planeswalkers constituent aussi les murs porteurs des récits actuellement développés pour la franchise : dans leur majorité humains ou humanoïdes, d’aspect jeune et athlétique, ils sont de plus en plus assimilables aux super-héros américains, à travers un scénario ayant mené dans les années récentes à la constitution d’une petite équipe disparate aux grands pouvoirs appelée Gateswatch, chargée de veiller sur les mondes menacés par des super-vilains. A ce ressort scénaristique fortement conditionné par la culture Marvel ou DC (on pense aux X-Men, aux Quatre Fantastiques, aux Gardiens de la Galaxie, à la Justice League, etc., mais surtout aux Avengers du MCU) vient s’ajouter une iconographie là encore tributaire des comics et des blockbusters destinés au grand public, iconographie manifestée par les costumes, les attitudes, la mise en scène, le physique des héros (généralement très avantageux)…
Cette influence significative explique aussi la tendance grandissante à matérialiser la magie sous la forme de super-pouvoirs spectaculaires jaillissant du protagoniste à la suite d’un simple effort de volonté, au détriment de l’approche initiale plutôt érudite et ésotérique. Pire encore, les adaptations digitales les plus récentes vont jusqu’à mettre en scène les planeswalkers dans des combats physiques chorégraphiés à grands renforts de pirouettes et de saltos, prenant part eux-mêmes à la mêlée[15].
Ces vedettes du kung-fu ne sauraient nous éloigner davantage du concept initial, qui faisait du joueur un être essentiellement désincarné, quasi-divin, dont la capacité d’action reposait sur les seuls sortilèges. Certes, des évocations du magicien ou de son adversaire se nichaient dans certaines cartes, mais leur présence était loin de constituer une norme et leur apparence devait tout à la fantaisie de l’artiste ; leur anonymat presque systématique laissait ces figures en retrait, susceptibles de se voir ou non investies d’une identité par le joueur.
Les lanceurs de sort ont depuis subi un lifting drastique. Comme on le voit avec le cinéma, le jeu vidéo, le roman de grande-surface et la bande-dessinée, les divertissements de masse s’interpénètrent et se copient, aboutissant à une uniformisation à l’échelle de l’entertainment mondial. Magic n’y fait pas exception. Les adaptations du jeu en films et séries n’ont plus qu’à venir boucler la boucle.

Il est évident qu’une autre raison d’être des planeswalkers, en tant que cartes et en tant que personnages distincts, fournit aussi l’explication de leur conformité aux canons les plus communs de la beauté. Nous l’avons vu, ils ne représentent pas seulement des héros « cools » et des cartes puissantes : ils sont, littéralement, les joueurs. Ou plus exactement les joueurs incarnent eux-mêmes des planeswalkers. Il est hors de doute que cette galerie de portraits bellâtres confits dans la « badassitude » la plus hollywoodienne a pour vocation de fournir aux consommateurs des avatars auxquels s’identifier. Ainsi l’exprimait sans détours le producteur Joe Lee dans l’article promotionnel édité pour la sortie du jeu ManaStrike : « Ce sont les personnages auxquels les joueurs s’identifient – leurs équivalents virtuels. Nous devons les rendre aussi incroyables que possible. » Apparemment, dans la novlangue commerciale, « incroyables » et « originaux » sont devenus des antonymes[16].
Dans les versions anciennes du jeu aucune identité précise n’était assignée au joueur hormis celle de « magicien », chacun étant libre de se fantasmer (ou non) dans la peau de n’importe quel être, de quelque espèce, sexe, ethnie ou genre que ce soit. Aujourd’hui ces portraits de super-héros sont ostensiblement proposés aux joueurs, et les usagers des dernières versions digitales de Magic n’ont même d’autre choix que d’adopter l’image de l’un des planeswalkers emblématiques de la licence, qui les représentera dans toutes les parties aux yeux des adversaires et spectateurs – tel est le cas du très populaire Magic : Arena. Là aussi l’imaginaire cède le pas devant des considérations mercantiles cherchant à susciter l’adhésion du plus grand nombre, au moyen de recettes simples et flatteuses.
Pour nous convaincre de la filiation, comparons ces planeswalkers, tous membres du Gatewatch prenant soigneusement la pose, avec ces quelques images promotionnelles de personnages issus des Avengers récemment incarnés sur grand écran. Un air de famille ?
Les citations littéraires
Après de longues hésitations, j’ai décidé d’aborder « brièvement » la question des textes d’ambiance (ou flavor texts), ces quelques mots dénués de toute fonction utilitaire que l’on retrouve en italique au bas de certaines boîtes de texte et qui contribuent à la « saveur » de la carte.
En un sens, ils sont susceptibles d’être perçus en tant qu’éléments participant à l’expérience esthétique. Ils peuvent avoir été créés pour le jeu ou non, faire référence à l’intrigue en cours, au lore ou seulement à la carte en elle-même, faire parler le personnage représenté, avoir un contenu humoristique, informatif ou dramatique. Les plus réussis parviennent à susciter une émotion, à élargir l’horizon de la carte en dialoguant avec l’illustration et le titre. La pièce la plus longue et élaborée livrée à ce jour par les créatifs de WotC fut un poème, Nuit et Jour, la chanson de leur amour (Love song of Night and Day), écrit par Jenny Scott, traduisant un souci réel d’épouser l’ambiance afro-fantastique du bloc Mirage[17]. L’œuvre, teintée d’un exotisme un peu naïf, fut dispersée sur pas moins de dix-sept cartes. L’un de ses mérites est de n’avoir évoqué que de façon allusive la guerre et la violence, préférant s’attarder sur les beautés naturelles de ce monde.
« Ce soir sera notre festin d’adieu. La bouillie d’avoine froide, ça ne suffit pas !
Epluchons des papayes, des ananas, des mangues, buvons le lait de ces noix de coco,
Mettons à griller ces bananes. Nous dînerons de crocodiles, d’oiseaux sauvages, et de tortues,
Peut-être d’un hippopotame – pourvu que tu parviennes à l’attraper ! »
Par ailleurs certains morceaux courts, sans grande prétention littéraire, parviennent néanmoins à installer une ambiance, à évoquer de façon diffuse une histoire plus vaste. C’était déjà le cas de l’iconique Minotaure de l’Hurloon de la première édition dont le texte fut rédigé par le directeur artistique en personne[18] :
« Les minotaures des montagnes de l’Hurloon sont connus à la fois pour leur esprit guerrier et pour les hymnes qu’ils entonnent à la gloire des morts, louant aussi bien leurs ennemis que leurs alliés. Ces chants peuvent durer des jours, emplissant les vallées d’un son lugubre et obsédant. »

L’extension Fallen Empires s’appuya pour sa part sur un corpus d’extraits tirés de sources littéraires inventées pour l’occasion, dont une encyclopédie fictive, Sarpadian Empires, en plusieurs volumes. Cette approche favorise le sentiment de se trouver face à un monde vaste et complexe, dont les cartes, illustrations et citations ne donnent que de succincts aperçus. Un artifice semblable est employé parfois dans la science-fiction, notamment par Frank Herbert dans la célèbre saga Dune, un nouveau chapitre s’ouvrant par une citation tirée d’un tiers ouvrage (fictif) dont les références sont indiquées, ce qui renforce la crédibilité de cet univers de lettres aux yeux du lecteur. Cela a pu donner par exemple, sur des Soldats vodalians (une variété d’ondins) :
« Les soldats vodalians jouissaient de certains atouts uniques. Souvent ils chevauchaient au combat des machines de guerre réputées venir des lointains océans septentrionaux. »
- Sarpadian Empires, vol. V
Plus exceptionnellement, une citation peut faire le pari de mêler à cette feinte érudition un zeste d’humour décalé, comme celle tirée du Livre de recettes des Enfers (Underworld Cookbook) écrit par une certaine Asmoranomardicadaistinaculdacar : « Bien que la plupart des surfaciers n’en aient heureusement pas conscience, les gargouilles peuvent être succulentes, à condition de disposer d’outils adaptés à leur découpe. »

En règle générale néanmoins, les lignes qui me marquèrent le plus appartiennent à la catégorie « citation extérieure ». Les premières références de ce genre furent sélectionnées pour Alpha par la responsable éditoriale de WotC, Beverly Marshall Saling[19]. Dans un tel cas l’extrait sélectionné permettait d’établir un pont entre Magic et le monde « réel », en sortant du cadre de la fantasy voire du fantastique. Les citations issues de la littérature anglo-saxonne furent remplacées en français par des auteurs francophones tombés dans le domaine public, souvent avec un certain à-propos – il est d’autant plus regrettable que les références indiquées aient été fréquemment erronées ou incomplètes.
Toujours tenté de créer mes propres mondes à partir d’éléments disparates empruntés à droite et à gauche, j’apprécie le détournement, la transplantation d’un élément poétique ou narratif hors de son contexte d’origine pour servir une autre fin. C’est une telle transplantation qu’opéraient les citations littéraires greffées sur ces supports inappropriés, les enrichissant d’un sens nouveau sans renier l’ancien. Quoi de plus iconoclaste mais de plus évocateur que ces vers (apparemment) trouvés parmi les Pièces retranchées de Ronsard, monument sacré des lettres françaises, apposés sous la représentation d’un spectre errant dans les marais ?
« Qui n’a point vu, aux tristes jours d’hivers
Froids et obscurs, la terre morne et sombre,
Pleine de nuit et d’une mauvaise ombre,
Où le Soleil ne se daigne lever ? »

Ou cette citation de Jean-Jacques Rousseau au bas d’une Naturalisation destinée à rendre caduque un artefact ou un enchantement :
« Peuples, sachez donc une fois que la Nature a voulu vous préserver de la Science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant[20]. »
La comparaison avec une version plus récente de la carte n’est pas vraiment à l’avantage de la nouvelle « citation maison » attribuée au planeswalker Garruk Languebestion, qui vient substituer aux paroles de Rousseau un expéditif « La nature n’a besoin de nulle décoration. »
Voyons encore sur un Jaguar bondissant, ces vers prosaïques du parnassien Leconte de Lisle en 1862, qui s’accordent merveilleusement avec l’illustration :
«Et le jaguar, du creux des branches entr’ouvertes,
Se détend comme un arc et le saisit au cou. »

La citation du Feu de brousse, tirée des Pages africaines ( ?) de l’écrivain français noir René Maran fait preuve d’une élégance teintée d’ironie, étant donnée la nature dévastatrice du sort – comme du sujet lui-même. Bien entendu la citation et son origine servent aussi à renforcer l’ambiance dégagée par la carte, en évoquant une savane africaine périodiquement ravagée par les flammes.
« Qui dira la chanson du feu de brousse ?… Il est ici et là… Il ne tient pas en place. Il dévore les solitudes, en un instant. Il va, d’herbe en herbe, par bonds pétillants. »

Parmi mes préférés, quelques mots écrits par Théodore Agrippa d’Aubigné en 1616 pour Les Tragiques, et que l’on retrouve sur les Zombies dévastateurs :
« Comme un nageur venant du profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe. »

Hérésie ? Utilisation dévoyée d’un poème dénonçant les persécutions religieuses, qui ne méritait pas de se voir jeté dans la fange commerciale ? Peut-être. Mais cette double comparaison du dormeur et du nageur impose au joueur-spectateur une vision assez hallucinée. Et ces vers confèrent à de communs morts-vivants un halo irréel qui ne les rend que plus angoissants. Nous pouvons quoiqu’il en soit juger du soin accordé à la transition depuis la citation anglo-saxonne, empruntée à la Complainte du vieux marin (The Rime of the Ancient Mariner) écrite par Samuel Coleridge à la fin des années 1790, qui pourrait se traduire comme suit :
« Ils gémirent, ils s’agitèrent ; puis ils se levèrent,
mais sans parler et sans remuer les yeux.
C’eût été bien extraordinaire, même en rêve,
de voir des morts se lever[21] ! »

Si le propos et le contexte sont certes différents, la forme poétique demeure, et l’impression générale. Nous retrouvons l’idée bien sûr d’une résurrection des morts, mais aussi le thème du rêve et même l’allusion à l’élément aquatique dans le titre de l’œuvre.
Que penser enfin du Monstre fantomatique, qui se distingue par un extrait du Jardin d’Epicure d’Anatole France, édité en 1894 ? Son rapport avec la carte est pour ainsi dire assez lâche, cependant le texte fait naître un léger vertige métaphysique, et un sentiment de malaise qui ne peut qu’être accru par l’illustration troublante de Jesper Myrfors.
« Je sens que nous sommes dans une fantasmagorie et que notre vue de l’univers est purement l’effet du cauchemar de ce mauvais sommeil qui est la vie. »

Je dois pourtant confesser une préférence pour la citation originale tirée d’un poème d’Edgar Allan Poe, Le palais hanté, l’un de mes passages favoris de La chute de la maison Usher :
« Pendant que, comme une rivière rapide et lugubre,
À travers la porte pâle,
Une hideuse multitude se rue éternellement,
Qui va éclatant de rire, — ne pouvant plus sourire[22]. »

Le parallèle avec le monstre de l’illustration, ondulant telle une rivière, multitude de gueules entremêlées qui semblent ricaner hideusement, est plus frappant encore, et la « porte pâle » pourrait presque être le cadre lui-même. Je ne résiste pas au plaisir de transcrire dans son intégralité le poème original, bijou de romantisme noir dont les accents fantastiques durent inspirer plus d’un auteur contemporain, dans la traduction donnée par Charles Baudelaire[23] – que je préfère à celle de Mallarmé, malgré les quelques libertés prises ça et là avec l’original :
« I
Dans la plus verte de nos vallées,
Par les bons anges habitée,
Autrefois un beau et majestueux palais,
— Un rayonnant palais, — dressait son front.
C’était dans le domaine du monarque Pensée,
C’était là qu’il s’élevait.
Jamais séraphin ne déploya son aile
Sur un édifice à moitié aussi beau.
II
Des bannières blondes, superbes, dorées,
À son dôme flottaient et ondulaient ;
(C’était, — tout cela, c’était dans le vieux,
Dans le très vieux temps)
Et, à chaque douce brise qui se jouait
Dans ces suaves journées,
Le long des remparts chevelus et pâles,
S’échappait un parfum ailé.
III
Les voyageurs dans cette heureuse vallée,
À travers deux fenêtres lumineuses, voyaient
Des esprits qui se mouvaient harmonieusement
Au commandement d’un luth bien accordé.
Tout autour d’un trône, où, siégeant
— Un vrai Porphyrogénète, celui-là ! —
Dans un apparat digne de sa gloire,
Apparaissait le maître du royaume.
IV
Et tout étincelante de nacre et de rubis
Était la porte du beau palais,
Par laquelle coulait à flots, à flots, à flots,
Et pétillait incessamment
Une troupe d’Echos dont l’agréable fonction
Était simplement de chanter,
Avec des accents d’une exquise beauté,
L’esprit et la sagesse de leur roi.
V
Mais des êtres de malheur, en robes de deuil,
Ont assailli la haute autorité du monarque.
— Ah ! pleurons ! car jamais l’aube d’un lendemain
Ne brillera sur lui, le désolé ! —
Et, tout autour de sa demeure, la gloire
Qui s’empourprait et florissait,
N’est plus qu’une histoire, souvenir ténébreux
Des vieux âges défunts.
VI
Et maintenant les voyageurs, dans cette vallée,
À travers les fenêtres rougeâtres, voient
De vastes formes qui se meuvent fantastiquement
Aux sons d’une musique discordante ;
Pendant que, comme une rivière rapide et lugubre,
À travers la porte pâle,
Une hideuse multitude se rue éternellement,
Qui va éclatant de rire, — ne pouvant plus sourire. »
Ces vers constituent à n’en pas douter une allégorie, évoquant vraisemblablement la verve d’un esprit jeune et brillant voué à s’abîmer dans la démence ou la sénilité. Mais une lecture au premier degré est en elle-même très évocatrice, dessinant l’agonie d’un royaume, tissant autour du thème de l’inexorable déclin des images d’une grande force de suggestion. Nous retrouvons là quelque chose qui rappelle l’ambivalence de certaines illustrations de notre jeu, devant lesquelles l’esprit trébuche un instant, hésitant à s’orienter vers une représentation purement symbolique ou vers l’interprétation littérale.
Métaphores poétiques contraintes au premier degré ou allusions subtiles au thème de la carte, certaines d’entre elles demeurent aujourd’hui imprimées dans mon esprit – le fait de les avoir eu très fréquemment en main ou sur la table n’y est pas étranger. En sus d’être généralement beaucoup mieux écrites que les textes créés ad hoc, elles induisaient une curiosité qui, au même titre que les styles graphiques particuliers des illustrations, pouvait contribuer un jour à attirer le jeune joueur vers des œuvres dont il n’aurait pas eu l’idée d’approcher. Hélas, la comparaison avec les styles visuels vaut également pour la postérité de ces petites pièces littéraires : elles se sont rapidement effacées au profit de « citations maisons » auxquelles font souvent défaut saveur et talent – mêmes si quelques-unes font mouche.
Voici comment Mark Rosewater liquide la question en donnant réponse au courrier incendiaire d’un joueur, furieux de la politique de WotC regardant les citations et l’intrusion d’un récit dans les cartes :
« Qu’en est-il des citations venant de la littérature du monde réel[24] ? Le compromis adopté il y a des années c’est que l’édition de base aurait des citations littéraires et que les extensions n’en auraient pas. Ceci parce que nous souhaitons que Magic ait son propre monde et sa propre voix. La littérature du monde réel arrache les joueurs à ce monde de sorciers duellistes et selon certains, leur donne l’impression d’être à l’école. Nous voulons que Magic soit synonyme de fun, pas d’« edutainment » [contraction d’education et d’entertainment, parfois traduite par « ludo-éducation », NdT].
La justification est pour le moins déroutante. Je ne peux concevoir en quoi un extrait d’Edgar Poe pourrait rompre l’immersion, en quoi une référence littéraire bien choisie serait susceptible de faire « sortir » le joueur de l’imaginaire, à moins d’être sélectionnée dans un essai sur la gestion des ressources cynégétiques par les collectivités territoriales en Gironde. « Dans la sombre caverne somnolente de l’esprit, les rêves construisent leur nid des fragments oubliés par la caravane du jour. » Comment peut-on prétendre, droit dans ses bottes, que les mots du poète indien Rabindranath Tagore cités par les Rêves du monde souterrain manquent de pouvoir évocateur ?

Le plus navrant est sans doute le dernier point du discours de Rosewater. Le fait de résoudre par un autodafé l’aversion chronique à la littérature contractée par certains à l’école semble digne d’une idiocratie, ou relève plus exactement de la politique commerciale que les anglo-saxons qualifient de dumb it down, soit quasi-littéralement : « crétinisez-moi ça ». A titre personnel, à l’époque où j’entrai pour la première fois en contact avec Magic, mon dégoût vis-à-vis des cours de français et du collège plus généralement me conduisit à ne lire aucun des ouvrages au programme ou recommandés par mes professeurs, à massacrer les livres obligatoires achetés par mes pauvres parents, et à donner à mes camarades ceux qui m’étaient offerts. Je n’en suis pas fier. Pour autant, je n’ai pas souvenir d’avoir eu le moindre problème avec les citations présentes sur les cartes, précisément parce que Magic n’est pas l’école mais son antithèse, un horizon de fuite. Mais soyons sérieux, cet argument n’était probablement qu’un prétexte.
Là encore le développement de la franchise en direction d’une histoire cohérente évoluant en vase clos, qu’il est devenu nécessaire de raconter ou à minima d’évoquer à travers les cartes, est manifestement à blâmer. Ce mouvement autoréférentiel de plus en plus prégnant élimine ces discrètes passerelles vers le monde réel qui contribuaient à donner au jeu un lustre savant et agréablement désuet, nous privant d’auteurs auprès desquels la prose livrée par la plupart des cartes récentes fait figure de vain babillage.
[1]Comme l’explique le peintre et illustrateur Jacques Hérold, les cartes du « jeu de Marseille » imaginées par certains artistes surréalistes, dont nous avions déjà parlé, dérivent en partie de la pratique très courante au sein du groupe du « Cadavre exquis » dans sa version dessinée. Il est donc certain que les intéressés ont perçu dès 1940 le potentiel d’un jeu de cartes en termes de créativité ludique, même si les perspectives et le contexte étaient bien différents. JOUFFROY Alain, « Les jeux surréalistes, entretien avec Jacques Hérold », XXe siècle, Le surréalisme I, nouvelle série, XXXVIe année, n° 42, juin 1974, pp. 152-153, cf. https://www.andrebreton.fr/series/127.↩
[2]Richard Garfield, interview du Monde, le 4 mai 2018 (https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/05/04/richard-garfield-createur-de-magic-je-suis-heureux-que-ce-jeu-soit-encore-populaire_5294192_4408996.html)↩
[3]https://www.coolstuffinc.com/a/jamesarnold-091814-art-heroes-drew-tucker/↩
[4]https://www.artrenewal.org/↩
[5]« I have this desire to tell stories that don’t really quite resolve themselves. […] I don’t like to have people walk into these images with assumptions about where they’re going to go, […] I’d rather have them bring their own interpretations. » http://www.artofmtg.com/stories-with-brushstrokes/↩
[6]« When the commissions were really open in the beginning, you could take a lot of that personal passion and interest and inject it into the art. » http://www.artofmtg.com/stories-with-brushstrokes/↩
[7]https://mtg.gamepedia.com/Belbe↩
[8]Le texte d’ambiance prend cependant soin d’indiquer : « Sa serrure se modifie pour recevoir chaque clef ».↩
[9]Les adaptations en jeux vidéo ont été nombreuses, de 1997 à 2019, certaines se déclinant sur plusieurs plateformes (Windows, Xbox 360, Playstation 3, Android) selon la page Wikipédia de Magic. Un produit dérivé digital prenant la forme d’un MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur) serait en préparation, ainsi qu’un hybride entre cartes et stratégie en temps réel intitulé Magic : ManaStrike.↩
[10]Lire à ce propos le mémoire très éclairant (mais en anglais) de l’un des spécialistes mondiaux de la question, Geoffrey A. Long, Transmedia Storytelling : Business, Aesthetics and Production at the Jim Henson Company, soutenu au M.I.T. en 2007.↩
[11]https://magic.wizards.com/fr/articles/archive/feature/la-naissance-d%E2%80%99arabian-nights-2002-08-05↩
[12]Quoique relativement marginal, le sous-genre de la fantasy « africanisante » voire afro-américaine n’est pas tout à fait inexistant, cf. http://martinstheoryofrelativity.blogspot.com/2015/12/the-search-for-diversity-in-heroic.html.↩
[13]Il suffit pour s’en convaincre de consulter le dictionnaire mythologique publié par Larousse, qui s’efforce d’inventorier pour chaque entrée les variantes encore connues des récits ou personnages. BELFIORE Jean-Claude (dir.), Dictionnaire de mythologie grecque et romaine, Paris, Larousse, 2003.↩
[14]« Originally the world of Magic was to be what the players created in their heads. We were providing a tool box of elements the players could use in their own fantasies. Then it was decided (This was before Hasbro btw) that the real money was in owning an IP, so they desperately tried to take elements from Star Trek and Star Wars and shoehorn them into an open fantasy property…badly. It is all about building a recognizable intellectual property. That is why you see more and more repeat characters on cards. They do not want you creating a world of your own imagination as it is much more profitable to sell you one. You cannot make a shit cash grab movie without shit cash-grab characters. This is a market focused, cash-driven business, it is not art. And while there are some truly outstanding artists working on the game, artists far better than I will ever be, the end result is not art, it is a product and it is no longer a product designed to be a great game first and foremost. »—Jesper Myrfors, Original art director for Magic: the Gathering. 9/4/2018. Malheureusement je ne parviens pas à remettre la main sur la source de cet extrait, qui semble actuellement introuvable sur le web. J’espère que le lecteur me pardonnera cette légereté et jugera néanmoins ce discours plausible, dans la mesure où il rejoint globalement les propos tenus par Myrfors dans d’autres interviews.↩
[15]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/magic-digital/manastrike-bringing-art-magic-life-2020-02-04↩
[16]« These are the characters that players identify with—their virtual selves. We had to make them as amazing as possible. » Ibid.↩
[17]Pour une traduction française du poème dans son intégralité : https://www.smfcorp.net/mtg-articles-2193-la-chanson-d-amour-de-nuit-et-de-jour.html. Pour la version originale : https://magic.wizards.com/en/articles/archive/love-song-night-and-day-2003-04-14.↩
[18]https://www.bigar.com/articles/2019/02/06/jespermyrfors-interview-2.html↩
[19]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/making-magic/weatherlight-report-2007-12-03↩
[20]Comme ne l’indique pas la carte, l’extrait est tiré du Discours sur les sciences et les arts dudit Rousseau, édité en 1750 à Paris par Noël-Jacques Pissot.↩
[21]Traduction de BARBIER Auguste, “La Ballade du Vieux Marin”, in Les œuvres posthumes de Auguste Barbier, membre de l’Académie Française, revues et mises en ordre par M. A. Lacaussade et E. Grenier, 1889, https://archive.org/stream/LaComplainteDuVieuxMarin/La%20complainte%20du%20vieux%20marin_djvu.txt. Texte original :
They groaned, they stirred, they ail uprose,
Nor spake, nor moved their eyes ;
It had been strange, even in a dream,
To have seen those dead men rise.↩
[22]Texte original :
While, like a ghastly rapid river,
Through the pale door
A hideous throng rush out forever,
And laugh—but smile no more.↩
[23]POE Edgar Allan, La Chute de la maison Usher, traduction par Charles Baudelaire, Nouvelles Histoires extraordinaires, A. Quantin, 1884 (pp. 84-108).↩
[24]« What about quotes from real-world literature? The compromise reached years ago is that the basic set will have literary quotes and the expert expansions will not. This is because we want Magic to have its own world and its own voice. Real-world literature takes players out of the world of dueling wizards and according to some, makes them feel like they’re in school. We want Magic to be fun, not “edutainment.” » https://magic.wizards.com/en/articles/archive/making-magic/add-text-flavor-2002-03-25↩