Денис Форкас Костромитин
Peut-être le nom de cet homme aux inflexions slaves ou grecques ne vous évoque t’il rien, sinon de vagues horizons neigeux, ou des moines barbus psalmodiant d’antiques rituels dans la pénombre froide de nefs embaumées d’encens. Pourtant votre regard s’est probablement déjà posé sur ses peintures : ayant acquis une petite renommée en Europe pour des pochettes d’album, qui forment à vrai dire la masse la plus visible de son corpus, il s’emploie depuis une dizaine d’années à rendre tangibles les univers de quelques dizaines de groupes produisant une musique plus ou moins extrême, atmosphérique ou cryptique – citons le death metal polonais de Behemoth (ci-dessous), ou encore les Etats-uniens d’Akhlys dans les eaux du black metal. Dans beaucoup de cas, les visuels semblent naître d’un fécond processus d’échanges entre groupe, musique et peintre.
Aussi disparates soient ces pièces en apparence, elles n’en esquissent pas moins un tout cohérent, une cosmologie vaporeuse, fascinante, d’accès difficile en dépit d’indéniables attraits. Il est permis de survoler superficiellement ces contrées obscures et d’en retirer une jouissance d’esthète, mais il est tout aussi gratifiant de les sonder en profondeur. Si quelques interviews en anglais ou en russe jonchent la toile, se préoccupant tantôt de la question mystique – car nous verrons à quel point cette dimension est indissociable des œuvres produites par Kostromitin –, tantôt se cantonnant davantage aux aspects technico-artistiques, aucune à ma connaissance n’a entrepris de mettre organiquement en relation sa biographie, ses influences intellectuelles et ses choix esthétiques. Nous partirons dans cette direction, à partir des matériaux disponibles en ligne et dans de rares publications.
Je ne prétends pas livrer une analyse exhaustive de l’œuvre du peintre dans ce modeste article ; soyez certains que nous ne ferons qu’effleurer le sujet, faute d’y consacrer un ouvrage épais comme une Bible. Les pièces présentées ici n’offrent également qu’un aperçu très partiel de son corpus : je vous encourage vivement à vous rendre sur le site officiel, comportant une galerie relativement étoffé, à fréquenter sa page Facebook pour les actualités, et pour les plus curieux à écumer son ancien Tumblr qui dévoile certaines de ses sources d’inspiration et quelques-uns de ses artistes de prédilection. Les anglophones trouveront également des liens utiles dans les notes en fin d’article.
Voyez cela comme un jeu de piste : indépendamment de l’adhésion ou non à sa vision du monde, il est passionnant de suivre les méandres dédaliques du travail de Forkas, et je ne ferai que suggérer quelques porches qu’il vous appartiendra de franchir… Une précision s’impose enfin, avant de débuter notre affaire. Je ne suis pas un spécialiste des mouvements ésotériques ou de l’histoire de la psychologie. Les notions exposées plus bas sont donc nécessairement limitées, et je sollicite votre indulgence quant aux éventuelles erreurs ou omissions sur lesquelles vous pourriez trébucher. N’hésitez pas à m’en instruire le cas échéant, il m’arrive d’écouter.
Genèse d’une obsession
Notre homme pousse ses premiers vagissements en 1977 à Kamyshin, quelque part dans le sud-ouest de la Russie. Il est bien vite amené à en parcourir les déserts glacés au gré des affectations gracquiennes assignées à son père, officier dans l’armée soviétique. Confronté à l’austérité d’un milieu foncièrement étranger à l’expérience humaine, âgé de seulement quelques années, il connaît une première flambée mystique sous la forme d’une paralysie visionnaire, observant avec terreur le déploiement autour de sa chambre de motifs en arabesques cependant qu’une sarabande de créatures grotesques s’agite sur son propre corps[1]. Il n’aura dès lors de cesse d’explorer et de prolonger cette primitive hallucination à travers l’art, de façon obsessionnelle.
Pour l’adulte qu’il deviendra, l’épisode acquerra à posteriori le statut d’expérience initiatique, première étape de l’individuation du Mythos, d’une appropriation par l’esprit en formation d’éléments issus de l’inconscient collectif – selon la théorie chère au psychologue Carl Gustav Jung et à l’anthropologue Gilbert Durand, que l’artiste cite volontiers aujourd’hui.
Mais n’anticipons pas. Cette rencontre avec l’indicible est sublimée un peu plus tard par une phase à la fois mystique et morbide : découvrant vers huit ans que le frère récemment suicidé d’un camarade de classe était membre d’un culte, le jeune Denis Kostromitin tente vainement d’obtenir des ouvrages et artefacts ésotériques issus de l’abondante collection du défunt. Il est peu douteux que l’association de l’environnement politique autoritaire et du contexte macabre de cette découverte dut en renforcer le caractère transgressif, à une époque où de tels objets et pratiques étaient durement réprouvés. Parallèlement, l’univers psychique de l’enfant est nourri de légendes et de contes de fées par l’entremise de grands-parents employés par l’administration pénitentiaire, qui jouissent de ce fait d’un accès privilégié à des livres rares en URSS – nous retrouvons le motif de l’introduction à un savoir à la fois ancien, défendu ou accessible à quelques initiés, et propice aux envols de l’imagination[2].
Ainsi la compénétration des sphères de l’art, de l’imaginaire et du spirituel s’inscrit-elle dans la genèse du personnage. En somme, la première rencontre avec une réalité perçue comme divergente prend l’aspect hallucinatoire d’une violente irruption de l’imaginaire dans le domaine du réel, sous une forme éminemment visuelle ; dans un second temps un pont est jeté vers l’ésotérisme, là encore par l’entremise visible d’une collection d’artefacts au sens impénétrable, frappés d’interdit, liés à la magie mais aussi « imprégnés » par la mort, celle de leur jeune propriétaire.
1989-1991 : alors que le bloc soviétique est secoué par les convulsions de l’agonie terminale, le monde s’ouvre pour notre adolescent. Un capitalisme sans frein inonde désormais la Russie de soda, de chaussures de sport, mais aussi de revues et d’ouvrages occultes, sous forme de mauvaises traductions et de photocopies cryptiques : Aleister Crowley et Eliphas Lévi deviennent ses compagnons de route.
Le premier, sorcier scandaleux dénoncé pour ses mœurs dépravées associées à la magie sexuelle ou « magick », pratique qu’il développa tout au long de son existence errante, fut aussi le fondateur d’une société gnostique et d’une communauté cénobitique étrange établie en Sicile vers 1920, Thélema. Il s’appuya sur des traditions occultes comme celles connues dans le Lemegeton ou la kabbale pour développer sa propre doctrine magique, mobilisant notamment les démons de la Goétie. Il faut noter que Crowley assimilait parfois ces entités à des manifestations de la psyché de l’officiant, décrivant les rituels d’invocation comme des mécanismes d’exploration introspective.
Bien après sa mort en 1947 Crowley deviendra l’inspirateur de nombreux artistes et musiciens, au rang desquels le groupe Led Zeppelin mais aussi Behemoth, pour lequel Forkas réalisera plusieurs pochettes d’album.
L’autre « grand initiateur » dont le jeune Denis dévore les pages, Éliphas Lévi (1810-1875), est un ancien ecclésiastique ayant délaissé la robe pour embrasser la carrière de guide spirituel, sur un versant toutefois plus sensible à la philosophie spiritualiste qu’à la magie opérative. Il n’est sans doute pas anodin que Lévi comme Crowley, à l’instar de nombre d’occultistes, aient pratiqué les arts graphiques avec passion en les mêlant à leurs prospections mystiques.
Le garçon se jette donc à corps perdu dans l’étude des magiciens des siècles passés, tout en poursuivant son activité artistique. De passage à l’université, il s’initie à la « théologie memphite », cosmogonie égyptienne complexe décrivant la création de l’univers par le dieu Ptah, puis s’immerge dans les textes de l’islam et du christianisme. Lorsqu’il atteint l’âge d’homme, les contraintes terrestres incitent Kostromitin à se porter vers de plus triviales occupations. Le voici en Chine dans les années 2000, représentant commercial, interprète et journaliste, ce qui ne l’empêche pas de connaître dès 2001 de premières expositions dans des galeries à Moscou, puis Saint-Pétersbourg, Vienne et Bergen[3].
Toujours hanté par ses visions, perfusé de mysticisme et de philosophie, plus obsédé que jamais par le dessin, il entre en contact avec les arts traditionnels chinois par l’intermédiaire de maîtres du xieyi et du gongbi qui l’initieront durant trois années. Ces techniques antiques répondent assez bien à ses aspirations spirituelles. Le xieyi (ou hsieh yi) en particulier, lié au chan (zen chinois) cherche à privilégier l’âme du sujet et l’intentionnalité au détriment du réalisme pictural, ce qui se traduit par des coups de pinceaux assez brutaux, intuitifs, sans contours ni préparation. Le gongbi lui est opposé en cela, car il met l’accent sur la beauté de la forme et la précision du dessin, la finesse des coloris, s’appliquant à un certain « naturalisme » qui n’exclut pas une stylisation élégante. Il n’est sans doute pas excessif de considérer que ces deux styles se combinent – sinon dans la technique au moins dans l’esprit – au sein de nombreuses œuvres du peintre russe, qui présentent à la fois des figures d’une précision naturaliste et des éléments plus sommaires, jetés sur la toile de manière spontanée.
À l’issue de cette formation décisive, Denis Kostromitin abandonne sa profession pour affronter les mers turbulentes de la carrière artistique. Il développe une philosophie personnelle qu’il nomme « le souffle de l’églantier », teintée de mystique orientale mais modelée pour l’essentiel par les doctrines philosophiques (en particulier nietzschéenne) et hermétiques occidentales, pour lesquelles il confesse un net penchant. Plus que jamais, plus que chez la plupart de ses contemporains, son art entretien un commerce intime avec ses croyances personnelles, d’une façon telle qu’il serait plus juste de considérer qu’art et croyances sont pour lui strictement équivalents.
Il s’agirait, dit-il, d’ « équilibrer les impulsions dionysiaques et apolliniennes et [de] revivifier l’ancien esprit d’harmonie au sein d’une œuvre d’art », en mêlant magie rituelle, méditation et aboutissement technique. Nous trouvons devant nous des principes empruntés initialement à la théogonie grecque, Dionysos étant lié à l’impulsion, à la part d’animalité de l’être humain, à la créativité sauvage et spontanée, et Apollon aux aspects plus construits, civilisés, dogmatiques et raffinés des arts. Ces pôles fondamentaux de l’expression humaine, et la nécessité de les combiner pour atteindre l’accomplissement artistique, semblent surtout empruntés à Nietzche dans La naissance de la tragédie[4].
Hermétisme et dualité
Nous retrouvons aussi dans cette affirmation, outre une fascination profonde pour l’antique, une dichotomie entre impulsion brute et exécution maîtrisée, pulsion et réflexion, ordre et chaos, qui n’est pas sans faire écho aux traditions gongbi et xieyi décrites plus haut. Ce contraste obstiné, cette recherche d’équilibre entre les deux pôles, opposés et complémentaires, traversent tout l’œuvre de Forkas. Son intérêt pour les figures dionysiaques est par ailleurs à rapprocher de celui de l’occultiste A. O. Spare pour les portraits de « faunes », ou d’individus dépeints avec des attributs satyriques[5]. De manière générale les chimères et thérianthropes abondent dans le répertoire forkassien, mêlant caractères humains et animaux, arpentant les territoires limitrophes entre sauvagerie et polis, également hantés par la figure du dieu des vignes et des mystères.
En vérité, Denis Forkas semble vouloir réconcilier, outre le dionysien et l’apollinien, deux courants artistiques traditionnellement présentés comme antagonistes, à savoir le classicisme et le romantisme – Friedrich Nietzche lui-même prenant fait et cause pour le premier contre le second[6]. Les caractéristiques de l’art grec classique telles que définies par Winckelmann à la fin du XVIIIe siècle et défendues également par Goethe à partir de son voyage en Italie en 1786-87 trouveraient en effet leur pleine expression dans la sobriété, la beauté, dans une « calme grandeur » – les lois apolliniennes venant pour ainsi dire tempérer l’impulsion dionysiaque, pour reprendre la classification nietzschéenne, là où les romantiques s’abandonneraient plus volontiers à un chaos primordial et naturel. À nouveau nous retrouvons notre dualité, ce fil tendu entre impulsivité et nécessité technique, créativité brute et respect des règles de l’art, sur lequel Forkas se tient debout en funambule halluciné.
L’alliance entre un trait soigneusement dompté, pour ainsi dire académique, et une expression spontanée presque violente rappelle encore les recherches du magicien et artiste anglais Austin Osman Spare, dont nous pouvons observer deux exemples ci-dessous.
La proximité entre leurs démarches respectives est indéniable : voici quelques années, Forkas s’adonnait comme lui au dessin automatique, une proximité visible dans certains travaux préparatoires, sur les pages de carnets noircies de croquis enchevêtrés.
Il faut aussi envisager la possibilité que quelques-uns des travaux du Russe, à l’instar de certains dessins de Spare, soient en apparence désordonnés dans leur composition mais en réalité agencés selon une mystique particulière (numérique par exemple) – rien ne me permet cependant de l’affirmer. Mais l’emprunt le plus significatif est l’usage de sigils (sceaux), sortes de formules personnelles cryptiques qui viennent orienter et renforcer pour l’artiste comme pour le spectateur le sens occulte du dessin, permettant à leur créateur de projeter sa volonté à travers des symboles. Bien que leur conception soit en théorie assez libre et personnelle, ils semblent initialement dériver des sceaux désignant divers esprits ou démons dans la tradition gnostique.
Notons d’ailleurs dans le corpus forkassien la récurrence de certaines figures gnostiques bien connues telles celles du sphinx ou encore d’Abraxas, entité sujette à des interprétations variées mais fréquemment représentée avec les attributs du serpent et du coq. L’usage de l’écrit par Forkas ne s’arrête pas aux sigils proprement dits, mais englobe également des formules, abréviations ou monogrammes, qui participent pleinement au graphisme.
Toujours dans la bien nommée revue Abraxas, Forkas revient sur sa technique de conception des sigils, qui diffère selon lui de celle d’Austin Osman Spare du fait de sa particulière connaissance de la calligraphie orientale (farsi notamment), laquelle accouche de formes très fluides. Ces symboles sont devenus plus subtils ces dernières années ; ils sont parfois en partie dissimulés par d’autres motifs ou apparaissent estompés, évoquant presque des filigranes, ce qui ne fait qu’en accentuer le caractère secret. Ci-dessous A Vision of Abraxas (vers 2011) et Kronos Motif (2017) ; notez les signes visibles au bas de chaque œuvre, mais aussi ceux qui se devinent en d’autres endroits.
L’artère mystique-occulte irrigue toute la production de Denis Kostromitin, sans se laisser réduire à un simple folklore ou à une pose affectée. Le dissimulé, le secret, la nature véritable du monde masquée par un édifice trompeur dont la clef de compréhension symbolique ne nous est pas immédiatement donnée, conception qui n’est pas sans rappeler l’exégèse mystique pratiquée par la kabbale ou encore les discours issus des courants gnostiques de l’Antiquité, engendrent un art qui tient autant du culte à mystère que de la délectation esthétique.
Son nom d’artiste est lui-même un mystère à élucider : Dans l’interview de 2010 publiée par Transmute[7], interrogé sur cet étrange pseudonyme, il affirme que Forkas (Форкас) serait un surnom attribué dans son enfance, en raison de ses « petites mains » (?). Sans écarter formellement cette explication, il faut constater que Foras ou Forcas (voire Furcas) est le nom d’un démon issu de la goétie décrit dans le Lemegeton ou « petite clef de Salomon » et dans le Pseudomonarchia Daemonum, ouvrages prisés par Aleister Crowley et par les occultistes du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui[8]… Le site russophone katab.asia n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que Forkas est un nom consciemment emprunté aux démons goétiques – sans avancer ses propres sources[9]. Notons que la graphie en est presque similaire en cyrillique et en grec, ce qui a pu avoir une importance aux yeux d’un artiste aussi sensible à la calligraphie et aux langues.
Les signes scripturaires revêtent donc pour Forkas une grande importance et semblent pensés comme parties intégrantes des peintures, renforçant ou complétant le sens de l’iconographie ; la plupart de ses pièces en comportent et certaines en sont constellées, variant dans leur alphabet, leur calligraphie, leur langage d’expression : chinois, farsi, latin, grec, mandarin, runique… Sa propre signature varie sans complexes selon les œuvres et les époques, passant d’une pyramide cornue dont les pointes désignent les initiales DFK à une sorte de fourche stylisée évoquant quelque peu les sceaux des démons goétiques, notamment celui du fameux Forcas. Certains autographes se distinguent à peine de véritables sigils, et l’on songe que ces métamorphoses, ce penchant cryptique traduisent là encore le caractère transitoire et fluctuant d’un cheminement intérieur. Ces signes sont souvent investis dans les compositions d’une importance qui ne se limite pas au simple gage d’authenticité mais paraissent projeter magiquement l’artiste dans sa création.
Peu de choses dans ses toiles semblent ne relever que d’une pure considération esthétisante ; ses ténèbres ne sauraient se réduire à des gimmicks gothiques faciles. Si la figure du démon est inscrite au répertoire forkassien, point de méprise : il ne s’agit pas du démon qui égare mais de celui qui révèle. En ce sens les références satanistes qui affleurent parfois – surtout dans ses œuvres plus anciennes – doivent être comprises comme lucifériennes ou prométhéennes, traduisant une quête de connaissance dans laquelle le sacrifice et la souffrance ne sont que de modestes prix à payer en vue de l’illumination.
Autant que l’âme de l’espèce, le Russe souhaite explorer méthodiquement les tréfonds de sa propre individualité. Dans cette recherche éperdue de moyens pour communiquer avec son être enfoui, Denis « Forkas » Kostromitin se penche aussi bien sur les mythes ancestraux, révélateurs selon Jung des archétypes sous-jacents du genre humain, que vers ses propres rêves, eux-mêmes influencés par son érudition, en un mouvement de va-et-vient permanent. Il espère ainsi de son propre aveu mettre au jour un état « primal », préhistorique, de la nature humaine.
La clef des songes
L’onirisme est central pour Forkas, et certaines de ses toiles sont même présentées comme des transcriptions de ses rêves. Il est très tentant d’établir un parallèle entre cette approche et l’une des pratiques les plus notoires du mouvement surréaliste depuis ses premières audaces : la tentative de transposition graphique des souvenirs du dormeur.
Comment ignorer de telles affinités ? Enivrés de psychanalyse freudienne – surtout à compter des années 1930 –, les surréalistes prétendent affranchir l’esprit de la tutelle de la raison, comme le proclame dès 1924 André Breton dans le fameux manifeste[10] ; dans cette entreprise le rêve mériterait d’être gratifié d’un niveau d’importance supérieur à celui de l’éveil. Tous s’efforcent de rappeler que la psyché n’est pas l’univers de la raison, qu’elle est son propre cosmos, qu’il faut explorer hardiment. Ils se piquent en outre d’ésotérisme – le terme est cité dans le Second manifeste publié en 1930. Le dessin exécuté par Dali pour le frontispice de ce dernier figure certains symboles chers aux occultistes : clefs, coupes surmontées de disques étincelants, pierres précieuses… D’une réception quasi-littérale des rêves au début de l’aventure, le mouvement bascule peu à peu vers une recherche beaucoup plus interprétative de leur sens profond après quelques années[11]. De manière générale, l’idée de vérités mises au jour par les mécanismes du songe n’est jamais loin, si l’on se souvient de l’appel lancé aux « philosophes dormants » par Breton dans le premier texte.
Salvador Dali, frontispice du Second Manifeste du Surréalisme, 1930
Pourtant Forkas ne s’identifie pas explicitement aux surréalistes, et les références directes à ce mouvement ne sont pas aussi nombreuses dans ses œuvres et publications qu’on serait porté à le croire, si l’on jauge leur présence à l’aune d’autres tendances artistiques. Pourquoi ?
Les divergences sont peut-être de trois ordres principalement : d’une part la démarche surréaliste semble procéder d’abord du geste artistique, qui cherche dans le rêve, les différents états de conscience et la philosophie sa justification et son renouveau. La plupart des figures du mouvement étaient des artistes actifs bien avant de s’orienter vers la démarche surréaliste. Chez notre Russe, le geste nait conjointement au désir de connaissance, il incarne ce désir dès l’origine. Ensuite la question de la religiosité, du sacré et du mysticisme divise les surréalistes, qui par exemple n’auront recours qu’assez marginalement à la notion de rituel, centrale dans l’approche mystico-artistique de Forkas – bien que celui-ci demeure pudique quant aux détails de sa pratique. Enfin (surtout ?), le surréaliste va rechercher un état permanent de « distraction », jusque dans l’éveil : un lâcher-prise bien peu compatible avec l’autodiscipline privilégiée par notre peintre, particulièrement lorsqu’il décrit sa lutte pour ne pas s’abandonner entièrement aux états obsessionnels. Breton parle en 1924 du « libre jeu de la pensée », soulignant par ces mots la nécessité d’une expression qui se dispense de filtre comme de grille d’analyse. Comme nous l’avons vu, la pratique créative de Forkas semble plutôt relever d’un complexe exercice d’équilibre entre libre-cours et interprétation.
Qu’en est-il sur le plan formel ? L’esthétique surréaliste procède par juxtapositions, par « collages » au sens réel ou figuré d’éléments disparates repêchés dans la psyché du dormeur ou du rêveur éveillé. Forkas s’appuie sur l’inconscient et le rêve dans un effort conscient et dans une certaine mesure planifié (en dehors du moins des sessions de dessin automatique) visant à produire du sens, même si celui-ci peut rester équivoque. Il faut ajouter que les œuvres surréalistes sont investies d’une dimension volontairement provocatrice. Celles du symboliste russe ne recherchent jamais délibérément l’outrance, l’humour ou le scandale, même si elles peuvent susciter un certain malaise.
D’un point de vue iconographique aussi, le fossé est plus profond qu’il y paraît entre Forkas et les surréalistes. Ces derniers s’inscrivent dans une modernité revendiquée, mettant en jeu des objets, des techniques, des tenues ou des sujets fréquemment tirés du quotidien de leur propre époque : téléphone, montres, train, mobilier, journaux, photomontages, etc. A contrario le répertoire forkassien s’inscrit inlassablement dans un passé plus ou moins lointain, ou à défaut dans une sorte de fugue atemporelle. Ces âges révolus peuvent se manifester à travers un costume du Grand Siècle, des attributs pharaoniques, un décor hellénisant, une calligraphie ancienne, des architectures cyclopéennes, une technique à base de tempera. Le passé hante presque toutes les toiles et études de Forkas – nous y reviendrons.
Stylistiquement, malgré la variété des expressions graphiques favorisée par les surréalistes, il faut relever là encore des différences subtiles mais significatives. Comme ses prédécesseurs le mouvement ne dédaigne pas entièrement les figures antiques ou les vieux mythes bibliques, c’est vrai ; le groupe d’André Breton reste pétri de culture classique. Mais ces références se limitent à des citations incongrues, à des pastiches ou des détournements, et s’éloignent résolument des codes esthétiques classicisants, restreignant souvent les emprunts directs aux titres, à des éléments isolés ou méconnaissables, tout en empruntant plutôt le vocabulaire visuel des avant-gardes qui les ont immédiatement précédées.
Salvador Dali, Couverture du “Minotaure”, 1936 Max Ernst, La Nymphe Echo (détail), 1936
Au contraire Forkas fouille et triture la matière du passé, s’approprie des styles surannés, exhume des reliques sans âge, fait œuvre d’archéologie. Il traite avec une égale révérence les dissidents du XXe siècle et les marbres du Parthénon, là où les surréalistes se servent des vieilles idoles pour faire éclater leur propre modernité. Bien entendu et comme j’entends le montrer dans ces lignes, son rapport à l’antique se mêle volontiers d’aspirations contemporaines, lorsqu’il convoque la psychologie, la théosophie, ou mélange consciemment des arts issus d’époques et de sociétés diverses. Mais ses recherches l’amènent à renouer comme nous le verrons plus bas avec des formes issues du passé, qu’il cherche moins à travestir qu’à investir, cherchant à leur ré-insuffler un sens dont elles ont été peu à peu dépouillées.
Reste que les arts plastiques constituent le vaisseau par excellence du rêve, de par la nature spontanément visuelle de ce dernier : les mots échappent souvent au rêveur, les sons demeurent sporadiques, l’olfaction ou le sens du goût sont presque absents ; à l’inverse les images s’impriment puissamment, au point de creuser parfois dans la terre meuble de la psyché un sillon qui persiste longtemps après le réveil. Voilà pourquoi les travaux des surréalistes malgré leur éclectisme persistèrent à mettre plus souvent à contribution la vue que les autres sens, y compris à travers la littérature, même si cela n’a rien d’une règle absolue. Remarquons à ce titre que l’on qualifie bien les songes auxquels on prête une origine divine de « visions », ce qui traduit bien la primauté de la vue – intérieure – dans un tel contexte.
Examinons au moins un exemple de transcription forkassienne d’un rêve, illustré ci-dessous, à travers la description intégrale (traduite par moi) disponible sur son site – que je vous encourage de nouveau à visiter[12] :
Encore une rencontre avec le personnage féminin ambigu qui persiste à envahir mes rêves. Cette fois elle se présente elle-même comme une « ancienne femme » (Lilith ?) qui ne peut être invoquée qu’à l’intérieur d’une chambre spécifique dans un palais labyrinthique ( ?). La chambre peut être identifiée grâce aux douzaines de vases ou de lampes disposés sur son sol. Lilith surgit directement d’un mur suite à certaines manipulations alchimiques ( ?) de ma part dont les détails sont flous. Son corps n’est jamais complètement humain ; j’ai le sentiment qu’elle est un homoncule conjuré par le monde du rêve/le labyrinthe comme moyen de communication. Nous passons la journée à parler et à explorer le palais ; elle reste en lévitation juste derrière moi et disparaît à un moment donné quand je me retourne pour m’adresser à elle. Dans mon rêve j’entre dans le labyrinthe de nombreuses fois et ne manque jamais de localiser la chambre et d’invoquer la sinistre entité.
Cette étude constitue un souvenir important car mon rêve semble avoir été directement inspiré par une vision similaire vécue par mon fils la nuit précédente. Dans son rêve Lilith était invoquée au cours d’une transe narcoleptique et émergeait des replis de chair recouvrant les murs d’un dédale vivant.
Remarquons d’abord que les scènes sont décrites sur un mode « crédible » sans chercher à en éluder toutes les ambiguïtés ou les imprécisions, à l’instar des descriptions de Breton ou d’Aragon lorsqu’ils se prêtèrent à ce genre d’exercice. Comme dans la plupart des récits oniriques le rêve se traduit par un mouvement constant, de la recherche de la chambre à l’errance à travers le palais, en passant par le surgissement du « fantôme ». L’imagerie paraît toutefois dans l’ensemble moins ambivalente que celle des rêves rapportés par les surréalistes ; les représentations sont plus stables. Peut-être le format court du récit contribue-t-il à élaguer quelques une des métamorphoses ; peut-être aussi la culture personnelle du peintre induit-elle une emprise plus ferme sur le domaine du rêve, si l’on compare une fois encore aux surréalistes qui privilégiaient une forme de dérive dans leur rapport au réel comme à l’imaginaire.
Plus spécifiquement, il est frappant de rencontrer le thème du labyrinthe, dont nous reparlerons ; il n’est pas difficile de repérer certaines récursivités de la « psyché forkassienne » qui touchent à l’imaginaire de l’ésotérisme : le voyage/parcours initiatique à travers un dédale ; la rencontre du gardien et/ou d’une épreuve terminale (l’invocation) ; l’initiation sous la forme d’un dialogue – dont nous ignorons ici la teneur – ; une présence mythologique semi-humaine (Lilith), qui semble servir de guide. Le peintre a choisi de représenter ce qui constitue sans doute le moment-clef, l’apparition de l’entité féminine dans la chambre aux vases, lesquels ne sont pas sans évoquer par leurs formes et leur disposition un vaste jeu d’échecs. Malgré l’économie de moyens la scène est identifiable instantanément à la lumière du récit : les vases sur le sol, le dédale suggéré par une simple ouverture laissant entrevoir une autre porte, l’apparition blanchâtre et flottante, le personnage du dormeur dans une posture de surprise ou d’invocation.
L’éminence vitale conférée aux rêves par ce peintre peut nous mener sur une piste parallèle. Les méandres de la psychanalyse fascinent Denis Kostromitin autant qu’ils intriguèrent les surréalistes ; il semble cependant délaisser Freud au profit de Jung. Nous l’avons dit, la pensée jungienne entre assez bien en résonance avec les préoccupations et les méthodes de notre artiste ; rappelons que l’hermétique psychologue autrichien, lui-même fasciné par l’alchimie et par l’érudition occulte, consacra d’innombrables heures de sa vie à un ouvrage (le Livre rouge) destiné à demeurer caché, entièrement calligraphié de sa main et orné par lui-même d’enluminures empruntant autant aux mythes humains qu’à sa propre psyché, élaborant un monde singulier qui reflète des questionnements, rêves, fantasmes et exercices d’introspection personnels. C’est dire pour lui l’importance de la praxis artistique.
La méthode dite de l’imagination active mise au point par Jung et approfondie par Elie Humbert a eu probablement une influence sur le processus créatif de Forkas. L’objectif est de relier le conscient à l’inconscient, en matérialisant des images tirées de ce dernier mais sans les soumettre à une action de contrôle ni à une analyse interprétative, à partir des affects de la personne qui se prête à l’exercice. Cette expression sans frein peut s’épancher via n’importe quel médium « spontané »[13], de la peinture à la danse en passant par l’écriture ; il s’agit de se confronter à ces manifestations comme on le ferait face à des situations et objets réels. On peut y déceler un modus operandi proche du taoïsme et de son « laisser advenir » (wou wei), ou de techniques méditatives orientales liées au bouddhisme. Jung rapproche aussi cette méthode de certaines ascèses spirituelles chrétiennes, comme celles d’Hildegarde de Bingen ou d’Ignace de Loyola.
En tout état de cause, il semble bien que son intérêt pour la psychologie entraîne constamment Kostromitin vers le gnosticisme, et que son intérêt pour le gnosticisme le mène vers la psychologie : « Spirituellement je suis profondément inspiré par les innombrables facettes de la nature humaine, en particulier les émotions les plus dissimulées, les plus primitives, les moins confortables[14]. Ceci, en retour, mène à l’étude de l’occulte, de la mythologie et du mysticisme de diverses cultures anciennes. » Le dissimulé, le souterrain, les mondes inférieurs et intérieurs n’ont de cesse de fasciner l’artiste, de même que les noirs abîmes du temps.
Dans cette recherche des origines, la question spirituelle chez Forkas pourrait être rapprochée d’une vision de l’art telle que développée par la théosophie – d’inspiration néoplatonicienne, cabaliste, hindouiste, et empruntée partiellement à Goethe – selon laquelle les œuvres créatives sont des manifestations de l’ « être du Monde » dont la source véritable demeure dissimulée, faisant des artistes les réceptacles de cette énergie spirituelle transcendante, des êtres illuminés chargés de diffuser ce don en direction des masses, d’établir des ponts entre le monde spirituel et celui des sens[15].
Il est intéressant à titre d’exemple d’observer les peintures signées du fondateur de l’anthroposophie, Rudolf Steiner, ou celles qui furent exécutées par ses disciples, cette doctrine étant largement influencée par la pensée théosophique. Quoique très différentes par leur palette chromatique chamarrée, elles présentent des figures floues, éthérées, des compositions en apparence peu construites, des décors vaporeux et intangibles, une tridimensionnalité faible ou absente et de fréquentes apparitions fantastiques. Si cela n’autorise en aucune façon à voir en Steiner un inspirateur direct de Forkas, il est certain qu’ils puisent pour partie à des sources communes : l’ésotérisme de la fin du XIXe et des prémices du XXe siècle, la pensée de Goethe ou de Nietzsche, mais aussi les avant-gardes artistiques de ces mêmes époques, notamment les courants impressionnistes.
Un passé transfiguré
Brut mais précis, en partie spontané mais extrêmement maîtrisé, le style personnel de Forkas se prête fantastiquement aux scènes songeuses qu’il suscite sur la toile à travers ces décors évanescents, ces figures fuyantes, tour à tour distinctes et floues, coulant parfois comme de la cire ou se dissolvant en fumées étheriques. De telles manifestations – au sens presque spirite – peuvent être perçues comme des tentatives de capturer, à travers un médium fixe par nature, l’aspect sans cesse mouvant et transformiste du rêve, qui procède toujours par glissement d’un sens vers un autre, d’une image vers une autre.
À peine matérialisées, les visions muent ou s’évaporent. Mais bien qu’elles puissent tenir du non finito ou du croquis, il est difficile de ne pas éprouver devant elles une impression d’antiquité insondable. Dans cet univers de peinture l’onirisme invoque presque invariablement le passé lointain, comme si l’exhumation des rêves ou de l’inconscient s’opérait à travers un processus apparenté aux fouilles archéologiques. Que les pièces réalisées par le Russe soient fréquemment intitulées « études » n’enlève rien à leur puissance évocatrice : les restaurateurs de tableaux et de fresques anciennes ne manqueront pas de reconnaître l’œuvre familière du temps dans ces visages aux traits effacés, dans ces textures grattées, usées, laissant apparaître les sinopia préparatoires, dans ces fragments tantôt précis, tantôt indistincts, comme privés de la couche picturale externe destinée à leur donner l’apparence de la vie, qui nous évoquent Pompéï ou les statues mutilées des vieux temples.
L’absence de couleurs vives, les tonalités sombres ou terreuses contribuent à ce sentiment d’usure, comme si les siècles avaient mangé la lumière qui animait autrefois les scènes. Les cadres eux-mêmes sont abrasés, écaillés ou rompus. Ces lacunes, tout en restituant au spectateur l’aspect fragmentaire et fugace du rêve, contribuent à augmenter le mystère des représentations, à leur conférer la patine des civilisations ensevelies, à les ancrer dans un passé qui ne livre ses secrets que sous une forme parcellaire, dont le déchiffrement résiste à nos modernes efforts.
Mais l’Antiquité forkassienne ne se manifeste pas uniquement par cette vétusté délibérée. Il faut la chercher dans la palette chromatique, proche des dominantes de nombreuses fresques romaines ou des terres cuites anciennes, dans ce noir charbonneux et dans cette ocre rouge qui s’étalent généreusement ; dans le décor souvent absent ou simplifié, dans l’atténuation des perspectives, dans ses figures élégantes mais parfois d’un hiératisme hors d’âge.
Ses nombreuses études ne laissent guère de doute quant à sa familiarité avec les formes courantes de la peinture grecque ou romaine, certaines se fondant explicitement sur des modèles antiques – ci-dessous à droite par exemple un exercice intitulé Ad mortem festinamus (Vers la mort nous nous hâtons), tiré manifestement d’une typologie connue dans la céramique attique à figures noires. Notons que la simple actualisation d’une formule grecque se voit investie d’un sens nouveau par ce titre en décalage, emprunté à une monodie médiévale de la fin du XIVe siècle qui affirme la brièveté de l’existence terrestre et la nécessité de la repentance – un thème en rapport étroit avec les motifs de la vanité et de la danse macabre, exploités fréquemment dans l’art depuis la fin du Moyen-âge. Le cheval figuré devient de ce fait destrier de la Mort, ou allégorie du destin emportant son cavalier impuissant vers l’issue fatale.
Amphore attique à décor en tableau et protomé de cheval, Louvre, Ve siècle av. J.-C.
La référence antique se nourrit souvent de littérature. Ailleurs Forkas évoque les mythologies et poésies grecques et mésopotamiennes, la philosophie du langage et « différentes traditions artistiques de l’Antiquité »[16]. Lorsqu’il affirme que les visions oniriques sont chargées d’une signification occulte, il cite les croyances des stoïciens sur la prémonition (Poséïdonios), ainsi que les piliers de la pensée grecque (Socrate, Platon et Aristote) sur l’influence des « daemons », et bien sûr Hésiode. Ce dernier associe les rêves à la fatalité et à la mort, dédaignant tout à fait les songes agréables – Forkas lui-même ne se souvient d’aucun rêve joyeux, ce qui ne manque pas d’éclairer si l’on peut dire la tonalité sinistre de son travail.
Sa connaissance des styles anciens, de l’Antiquité mésopotamienne jusqu’à la Renaissance, paraît aller bien au-delà de références superficielles, et passe à la fois par de savants exercices de copies et par des appropriations qui n’hésitent pas à croiser les références tout en développant un langage qui lui appartient en propre. Ainsi de l’Ange jouant de la musique exécuté en 2014 (ci-dessous à droite), très librement inspiré du Retable d’Issenheim visible à Colmar, peint par Matthias Grünewald vers 1512-1515, dans la scène connue sous le titre L’incarnation du fils de Dieu (« Concert des Anges »). Le bel ange blond semble avoir été passé au chalumeau. Silhouette décharnée aux chairs brunâtres, recroquevillée sur son instrument dont on l’imagine tirer des notes discordantes, délaissant la composition colorée pour un arrière-plan noir, il évoque davantage l’effroyable Christ en croix visible à l’extérieur du même retable, célèbre pour l’interprétation outrancièrement morbide du corps supplicié, et semble nous rappeler cruellement que la corruption et la déchéance ne sauraient épargner quiconque.
Autre exemple d’appropriation d’un motif ancien, celui de la Calomnie d’Apelle. Prisé par les « modernes » des XVe et XVIe siècles, ce thème était déjà né de l’interprétation fantasmée d’un obscur tableau perdu de longue date du peintre grec Apelle de Cos, décrit au IIe siècle de notre ère par Lucien de Samosate. D’abord popularisé par Sandro Botticelli dans une oeuvre réalisée vers 1495, il fera l’objet dans les décennies suivantes de maintes réélaborations, dont celle de Luca Penni à son tour adaptée au format de l’estampe par Giorgio Ghisi, version qui paraît avoir le plus directement inspiré notre Slave dans l’étude visible ci-dessous.
Forkas adapte donc à sa partition très personnelle une imagerie issue d’une tradition antique, sans doute déjà largement déformée par la Renaissance, puis diffusée à travers le prisme particulier de la gravure sur cuivre. La composition spectrale qui en résulte, tout en reprenant quelques éléments distinctifs de son modèle, vient s’inscrire délibérément en contrepoint de la précision chirurgicale qui caractérise la gravure et marginalise les personnages au profit d’un décor grandiose qui en devient le véritable protagoniste. Les expérimentations du peintre s’efforcent ainsi de reprendre un long voyage, poursuivent une tradition sans la figer dans une répétition servile, renouent avec des airs anciens tout en réécrivant sensiblement la mélodie.
Giorgio Ghisi, La Calomnie d’Apelle, gravure au burin d’après Luca Penni, 1560 Denis Forkas Kostromitin, First composition study for The Calumny of Apelles, 2013
Assez curieusement, les techniques employées par Forkas ne semblent inclure que très marginalement la peinture à l’huile, pourtant chère aux Flamands. Son médium de prédilection, à en juger du moins par ses œuvres visibles, demeure l’acrylique, qu’il dit avoir adaptée en « réduisant le nombre de couches, en changeant la palette » et en élaborant sa propre composition chimique, afin d’obtenir un rendu au besoin plus proche de l’huile. Considérant qu’un artiste accompli doit savoir faire feu de tout bois, il s’adonne parfois à des expérimentations à base de thé noir ou de moût de raisin, et déclare apprécier tous les médias « traditionnels », citant la tempera (à base d’œufs ou d’acrylique), l’huile, le pastel, l’encre, le crayon et le papier à gratter[17]. L’usage de tel ou tel média pour telle œuvre n’est pas non plus le fruit de l’arbitraire, comme on le constate dans ses croquis de satyres réalisés à partir de moût – la vigne et le vin étant mythiquement liés à Dionysos.
Si l’Antiquité et la Renaissance sont des jardins qu’il aime arpenter avec dévotion, sa résidence d’élection est ailleurs : l’amateur d’art et de littérature ancienne aura tôt fait de reconnaître en Forkas un être profondément influencé par le XIXe et les premières décennies du XXe siècle. Le peintre n’hésite pas à se présenter lui-même comme symboliste[18], et il semble évidemment difficile de lui contester ce titre. Une bonne part de son approche artistique, comme de son expérience spirituelle, révèle une proximité avec les mouvements romantique, symboliste, mais également dans une moindre mesure avec les avant-gardes impressionniste et expressionniste – même s’il serait futile de réduire son art à une sorte de pastiche de ces courants.
De l’orientalisme et de la peinture romantique du XIXe, il retient notamment le trait souple de Delacroix, ses chairs alanguies et ses couleurs ternaires ou rabattues : on reconnait par exemple dans le corps de son Helviti une posture et des proportions proches de celles de L’odalisque allongée sur un divan peinte par le maître français vers 1827-1828.
Plus généralement les corps féminins peints par Forkas, comme ceux de la Nuit des Thespiades ou ses études sur Andromède évoquent les nus de Delacroix tels qu’on les connaît dans La mort de Sardanapale. La littérature et la poésie françaises finiséculaires imprègnent aussi son œuvre avec force, et l’on n’est guère surpris de l’affinité de certaines œuvres avec les illustrations livrées par Auguste Rodin pour l’une des premières éditions du scandaleux recueil des Fleurs du Mal de Baudelaire.
Il est presque inutile bien sûr de mentionner sa très probable dette envers les paysages noyés de fumée, de brouillard et de lumière exécutés par William Turner, surtout ceux des années 1840. Toujours au XIXe siècle, les dessins et aquarelles de Victor Hugo, sombres et évanescents, tout en clairs-obscurs orageux, évoquent une poignée d’œuvres de Forkas : le Dream of the Angel of Empathy (première image ci-dessous) est par exemple fortement réminiscent du Château fantastique au crépuscule de Hugo (seconde image).
Les frères d’âme de Forkas sont bien les peintres romantiques et symbolistes. Gustave Moreau représente une influence diffuse. On retrouve la silhouette du sphinx escaladant Œdipe dans l’une des Death’s Door (ci-dessous à gauche) ; l’on reconnaît encore sa présence dans une étude des juments de Diomède dévorant leur maître (à droite), thème antique traité par Moreau dans deux peintures à l’huile et une aquarelle, qui tranchent brutalement avec son hiératisme habituel : les cavales aux fantastiques proportions déchirent l’infortuné Diomède, éperdu de souffrance et de terreur.
L’étude de Forkas visible ici réduit l’épisode à son plus petit dénominateur, la masse informe de la victime et les têtes bestiales qui s’en disputent les morceaux, éliminant le décor au profit d’un curieux disque solaire. La présence de celui-ci paraît orienter la lecture de l’œuvre vers une interprétation sacrificielle, assez fréquemment associée au Soleil dans les mythologies anciennes – par exemple chez les Aztèques ou dans le mithraïsme. Le style graphique s’écarte également des tableaux léchés de Moreau pour puiser dans les eaux-fortes de Goya, ou évoquer certaines études équestres de Léonard de Vinci.
Goya : le nom est lâché. L’ombre de Francisco de Goya, celui des Désastres de la guerre, des Disparates et, surtout, des peintures noires, se manifeste dans plus d’un paysage sinistre, dans plus d’une figure tourmentée, se devine dans les iconographies énigmatiques. Sur le plan formel, la rupture qu’assuma Goya dans certaines de ses œuvres vis-à-vis de la matrice classique dont il était issu se retrouve aussi chez le Russe : figures décentrées, parfois coupées par le cadre, contours flous, décors souvent absents ou d’une sobriété lunaire, palette de couleurs limitée aux terres, à des tons ocres, au rouge et au noir. Mise en scène des peurs, de la mort, des souffrances qui malmènent le corps et l’âme.
Francisco de Goya, Saturne dévorant un de ses fils, 1819-1823 Francisco de Goya, Garçon face à une apparition, 1824-1825 Francisco de Goya, El caballo raptor, 1864
L’effrayant Children Praying in the Dark de Forkas évoque particulièrement la période noire de Goya : le groupe d’enfants, écrasé par les ténèbres dans le coin inférieur droit, se presse autour d’une lumière qui peine à dissiper l’obscurité de la pièce ; l’unique petit visage tourné vers le spectateur demeure indistinct et comme déformé par la peur, la bouche béant sur une prière. Autour de l’ouverture centrale découpant une nuit d’encre, l’œil croit reconnaître dans la pénombre des formes inquiétantes.
Si dans cette toile l’empreinte de Goya est difficile à nier, la composition et l’atmosphère paraissent s’inspirer encore plus directement du sombre Erscheinung (« Apparition ») signé « May Kerpen », dessin attribuable à Anna May-Rychter publié en 1919 dans la 12e livraison de la revue fantastique allemande Der Orchideengarten[19].
Détail dû peut-être au hasard, cette artiste méconnue était proche de Rudolf Steiner et du mouvement anthroposophique à ses débuts, et travailla elle-même au premier Goetheanum de Dornach, sans doute dans les années 1910[20] ; son œuvre jadis la plus connue, empreinte de mystique chrétienne et d’ésotérisme théosophique, fut un triptyque monumental intitulé Graal – Sang divin et humain réalisé vers 1917-1918, perdu dans un bombardement en 1943.
Dans ses recherches, Forkas fréquente assidument ses prédécesseurs, les peintres du rêve et du cauchemar, de cette glaise symboliste la plus déroutante que l’on qualifie parfois de pré-surréaliste. Füssli et Kubin viennent à l’esprit. Odilon Redon bien sûr, d’ailleurs cité textuellement sur l’un des sites de Forkas et souvent publié par lui sur les réseaux[21].
Au compte des nombreuses affinités artistiques et spirituelles de Forkas, il est impossible de ne pas nommer aussi l’anglais William Blake, poète, peintre, mythographe : son œuvre tout entier s’inscrit dans une recherche spirituelle personnelle, façonnant un univers à la fois panthéiste et biblique qu’il développera dans des ouvrages enluminés de nombreuses illustrations au contenu symbolique. Nous reconnaissons chez notre artiste russe un usage proche des flammes et des ténèbres, l’absence de couleurs vives, tranchées, la dimension expressionniste de certaines physionomies outrées, et bien sûr la profusion des références occultes qui parsèment les illustrations.
Forkas rend d’ailleurs à Blake un hommage explicite dans une toile intitulée Elohim créant Adam, qui met en scène un sombre démiurge donnant vie au premier homme (ci-dessous) : plus encore que dans l’illustration qui lui sert de modèle, celui-ci semble se tordre dans une convulsion douloureuse à l’instant où l’étincelle divine lui est transmise ; l’acte créateur se fait ainsi torture. Bien loin de l’idéal édenique, la naissance se confond avec la souffrance, invoquant le Cioran de L’inconvénient d’être né, et la punition semble précéder le péché…
Nous pouvons peut-être discerner ici un motif gnostique récurrent : celui d’un monde physique limité et limitant, et d’un être humain engendré par une forme inférieure de divinité au moyen de l’asservissement d’un esprit supérieur, « lumineux » et illimité, placé dans un corps voué à l’imperfection, à la souffrance et au déclin, sordide carcan de chair pour une âme d’essence divine. La palette singulièrement terreuse de la peinture conforte cette interprétation dualiste, confinant la scène à la sphère matérielle, excroissance inférieure et corrompue du royaume divin – le démiurge semble d’ailleurs désigner du doigt la sphère céleste, où fut peut-être dérobée l’étincelle vitale.
N’oublions pas non plus certains des compatriotes de Kostromitin, un peu moins connus en Occident. Parmi ceux-ci Mikhaïl Aleksandrovitch Vroubel (1856-1910), peintre symboliste russe d’origine polonaise et danoise, assez proche de l’art nouveau mais exerçant parfois son art dans une veine quasi impressionniste, est une référence majeure revendiquée par notre homme. Brillant érudit, féru de philosophie esthétique kantienne, Vroubel suit des études classiques avant d’entrer en contact avec la peinture slave médiévale, à l’occasion de restaurations de fresques et d’icônes, puis fréquente un moment l’avant-garde artistique à Kiev et Odessa, puis Moscou.
L’histoire de Vroubel prend un tour plus sombre dans la seconde moitié de son existence. Oscillant entre dandysme mondain et ascétisme, il traverse des crises amoureuses et spirituelles successives ; son expression se fait plus mystique, fiévreuse, il se passionne pour les figures folkloriques ou religieuses. En dépit de la piété familiale ainsi que de multiples commandes ecclésiales, son centre de gravité créatif tend à glisser sporadiquement vers une obsession pour la figure du démon, à laquelle il applique les savoirs-faire acquis dans l’art sacré. Il développe aussi une technique personnelle de fractionnement pictural, plaquant sur la toile d’innombrables petites surfaces juxtaposées, ce qui confère à certaines œuvres un aspect cristallin évocateur de la mosaïque (Le Démon assis, 1890 ; Lilas, 1900).
Alors que sa peinture, s’éloignant des conventions académiques, se voit taxée de décadente par une partie du milieu de l’art russe, Vroubel sombre dans la démence durant les dernières années de sa vie. Sur un plan purement artistique remarquons que cette trajectoire singulière n’est pas très éloignée de la direction suivie par Denis Forkas, dessinant un trait d’union entre académisme, styles historiques et expérimentations picturales du tournant du XXe siècle.
Il serait fastidieux d’énumérer systématiquement tous les influx potentiels animant les toiles de Forkas. Pour citer encore un exemple, l’œuvre du plus obscur symboliste russe Nikolaï Kalmakoff constitue une autre piste intéressante : quelques unes de ses peintures du début des années 1910 révèlent avec l’œuvre de notre artiste des affinités de style substantielles dans le non-finito, les à-plats, les figures fantomatiques, les influences orientales mêlées à des thèmes antiques, comme dans ces Trois femmes chevauchant un monstre mythique (publié sur Tumblr[22]).
Chez Kostromitin non plus l’Orient n’est jamais loin, qu’il s’exprime comme nous l’avons vu plus haut dans certains mouvements du pinceau inspirés des techniques chinoises traditionnelles, à travers des inscriptions en farsi, ou dans une iconographie voire des thèmes empruntés au répertoire persan ou d’Asie centrale ; en témoigne cet Ange moitié neige, moitié feu, tiré de la tradition islamique manuscrite du Mirâj Nâmeh (récits du voyage nocturne et de l’ascension du Prophète) et plus spécifiquement de la miniature timouride du XVe siècle, partiellement influencée par l’iconographie bouddhiste.
Un peintre anti-contemporain ?
Malgré un regard critique sur certaines apories actuelles, Forkas est très loin de renier toute suggestion de l’expérience contemporaine dans son art, y compris des courants abstraits qui peuvent participer de l’expression de l’être profond du plasticien. Le Russe cite notamment Kandinsky, ou encore l’expressionnisme abstrait. Ce dernier courant aux contours assez lâches comprend des théoriciens tels Hans Hofmann qui investirent la peinture d’une dimension éminemment psychologisante, théorisant un lien psychique étroit entre l’acte créatif du peintre et sa personnalité, ce qui n’est pas si éloigné des conceptions psycho-mystiques de Forkas… Surtout si l’on considère la fusion fréquente d’une approche très intellectualisée et maîtrisée de l’art et d’une expression spontanée, intense ; la coexistence de l’arbitraire et de l’intentionnel.
Concernant Kandinsky, il est possible de trouver au moins un point d’ancrage dans le primat spirituel de la « vie intérieure » sur les constructions savantes, qui aboutirent dans son cas à un élan vers l’abstrait. Cette importance de l’expérience subjective influence en particulier sa conception des couleurs.
À noter la défiance qui transparait dans certains propos de Forkas à l’égard de la « composition » construite, ce qui pourrait se rapprocher de la conception qu’en a Kandinsky, lequel la qualifie dans Du spirituel dans l’art (1911) d’approche consciente recherchant l’efficacité – ce qu’il ne dénigre pas lui-même mais réserve à ses toiles les plus élaborées. Kandinsky divise les couleurs selon leur tendance au bleu (froideur) ou au jaune (chaleur) : les « bleus » suggéreraient l’éloignement, le calme, les cieux, les « jaunes » la proximité, la terre, la violence. Leur mélange, le vert, produirait « l’immobilité totale et le calme ». Les blancs et les noirs (clarté et ténèbres) forment un contraste statique, le blanc comme un « silence des possibles » et le noir un néant sans possibilité et sans espoir, la mort, ce qui fait résonner par contraste les couleurs situées à proximité. Le rouge est force vive, mouvement. Etc., etc. Il faut noter l’importance des théories de Goethe pour Kandinsky, surtout durant sa période d’enseignement au Bauhaus (1922-1933).
Forkas fait-il réellement usage de ce genre de concept ? Cela reste difficile à déterminer ; peut-être s’agit-il plutôt de s’appuyer comme Kandinsky sur la valeur « affective » et spirituelle des couleurs, en suivant un schéma interprétatif cette fois propre à l’artiste plutôt qu’une théorie à vocation universelle.
Mais nous croisons aussi le cubisme et l’expressionnisme, au détour d’un Portrait de Max Schreck en comte Orlock (1ère œuvre ci-dessous à gauche) qui nous présente l’acteur incarnant le Nosferatu de Murnau dans un portrait en buste dont le visage inhumain éclate en plis chiroptériens, le tout planté sur un corps monolithique engoncé dans une redingote noire. Le film original de 1922 s’inspirait lui-même visuellement de l’univers graphique expressionniste du Tchèque Hugo Steiner-Prag (dernière œuvre ci-dessous à droite), illustrateur entre autres d’un recueil de nouvelles d’Edgar Poe et du Golem de Gustav Meyrink ; nous assistons donc au parachèvement d’un cycle, du dessin à la pellicule, puis de la pellicule au dessin à nouveau.
Plus avant vers le cubisme, ou peut-être plus justement le futurisme, nous trouvons en 2018 le Rêve du passage des miroirs, miroir brisé qui n’est pas un simple trompe-l’œil puisque l’artiste a réellement découpé puis assemblé des fragments épars à la façon d’un puzzle mal ajusté. Ce rejet apparent de la duperie sensorielle que constitue la peinture paraît brouiller la frontière qui sépare celle-ci du réel, « traverser le miroir » en quelque sorte. Nous distinguons à gauche de l’œuvre une figure éplorée les mains sur le visage, en mouvement, sans doute en fuite. Son corps est fait d’éléments partiellement disjoints. Le décor de fond semble lui-même constitué de multiples facettes géométriques juxtaposées, comme autant d’éclats. Le traitement graphique de l’ensemble, tout spécialement du fuyard, n’est pas sans faire écho aux recherches futuristes autour du dynamisme dans l’art, comme celles menées par le peintre italien Umberto Boccioni dans les années 1910.
Le seul autre élément figuré distinctement est un petit astre visible en haut à droite, lui-même fracturé en trois parties, auquel le personnage en fuite tourne le dos. Notons que la signature se trouve juste à l’aplomb du coureur et que les initiales du peintre, D.F., sont séparées par une fêlure, ce qui incite à songer que Forkas met ici en scène une fragmentation psychique ou une blessure personnelle. Le fait que l’artiste ait choisi de publier sur les réseaux précisément la photo du moment où il ajuste l’une des pièces constituant cette étincelle mystérieuse (ci-dessous), que nous retrouvons ailleurs en tant (peut-être) que composante divine de l’esprit ou symbole d’une connaissance des vérités transcendantes, appuie cette lecture d’un éclatement intérieur, d’une séparation de soi et/ou du divin.
Je ne m’égarerai pas davantage dans cet univers-ci, tant la symbolique du miroir brisé se prête à toutes les interprétations – souvent contradictoires –, à tous les périples intellectuels de la psychanalyse, de la philosophie, de l’oniromancie. Relevons simplement l’usage qui est fait de ce style très contemporain, dont le rendu schématique et anguleux répond à la thématique de l’éclatement tout en accentuant la déshumanisation du personnage.
Toujours pour le XXe siècle, il faut mentionner parmi d’autres l’hommage explicite à Jean Cocteau, en tout cas au Cocteau artiste-peintre et dessinateur. Un profil féminin est esquissé tout d’abord au-dessus de l’Ange jouant de la musique (à gauche), dont la ligne aux sinuosités élégantes fait mine d’être une calligraphie, une note, l’effleurement peut-être de l’archet sur les cordes.
D’une façon encore plus évidente ce portrait peint la même année (à gauche), évoquant vaguement celui d’une bête (« la » Bête sans doute) qui rappelle certains visages du poète et cinéaste mais dessine en même temps une constellation. La figure sommaire surplombe les initiales de Forkas – en grec – et la devise énigmatique de Cocteau, en français, qui semble traduire le primat de l’accident sur l’intention : « Trouver d’abord, chercher après », formule sans doute empruntée en réalité à Picasso. On ne s’étonnera pas des hommages rendus par le Russe à une personnalité artistique dont l’amour pour la mythologie et pour l’alchimie est bien connu, et qui ne craignait pas de déjouer toutes les attentes en refusant obstinément de se ranger aux côtés des avant-gardes ou du classicisme.
Nous pourrions multiplier à l’envi les exemples, citer encore Francis Bacon et ses chairs brutalisées, parmi bien d’autres. Un tel catalogue n’aurait guère d’intérêt que celui de l’érudition pour elle-même. Qu’il suffise de dire que la leçon des contemporains est très loin d’être étrangère à Forkas, mais que celui-ci paraît envisager une recherche plastique généralement subordonnée à une expérience spirituelle globale, cohérente, malgré l’insatiable éclectisme de ses références. Pour mieux saisir cet aspect le plus judicieux serait d’approcher maintenant certains des thèmes développés par le peintre.
Têtes tranchées
Les sujets empruntent beaucoup au fond symboliste – comme chez les classiques on y retrouve mythologies et Ancien Testament, avec cependant une particulière insistance sur certains thèmes : la danse fatale de Salomé, les apparitions angéliques ou démoniaques, Lucifer, l’Enfer selon Dante (ou selon le chevalier Tondale, l’un de ses inspirateurs médiévaux), le mythe d’Orphée, la gorgone Méduse… Celle-ci, déclinée en nombreuses études et versions, semble témoigner chez Forkas d’une véritable obsession – encore une – pour les têtes séparées de leur corps. Il faut signaler qu’un traumatisme enfantin a pu là encore jouer un rôle dans cette fixation morbide, si l’on en croit l’une des interviews de l’artiste[23].
Ces têtes sectionnées sont voisines sémantiquement des masques qui parsèment aussi la production forkassienne, en tant que sujets ou simples éléments de décor, masques qui peuvent eux-mêmes être reliés aux chefs difformes ou altérés que nous retrouvons ici ou là : la thématique du monstrueux se mêle à celles de la dissimulation et du changement. Souvenons-nous que Dionysos, dieu des vignes, de la sauvagerie et de l’inversion, instigateur de cultes à mystère de nature orgiaque, très présent dans la cosmogonie de l’artiste, est aussi étroitement lié aux origines du théâtre et aux comédiens.
Il est amusant de relever, quelque fortuit et anecdotique que puisse être ce détail, que le prénom de notre peintre, Denis, n’est qu’une transcription de la forme grecque Dionysos… Mais aussi que le saint le plus connu sous ce nom dans le martyrologe chrétien, l’évêque Denis (ou Dionysius), est particulièrement célèbre pour avoir porté sa propre tête tranchée jusqu’au lieu de son inhumation. La tradition hagiographique a parfois confondu ce saint céphalophore avec Denys l’Aréopagite et avec le « Pseudo-Denys » du Ve ou VIe siècle, ce dernier ayant notoirement développé le cadre conceptuel de la théologie mystique chrétienne.
Coïncidences sans doute, néanmoins savoureuses… Et qui n’ont pas échappé à l’artiste, comme en témoigne la signature en cursive grecque visible au bas d’une étude pour les Amants hypostatiques de 2014.
Le parallèle entre masque et tête séparée du corps est manifeste dans l’œuvre ci-dessous, cette peinture écarlate aux tonalités pompéiennes qui voit la figure décapitée se tenir sur une jambe, de dos, dans l’encadrement d’un portail aux airs de temple dorique, sur le seuil peut-être d’une initiation : au centre du linteau-entablement, dans l’axe du cou, se distingue à première vue un masque grimaçant de comédien… Qui n’est pas sans rapport avec le gorgonéion, la tête décapitée de la gorgone Méduse, comme l’indiquent les serpents et l’aspect féroce du visage.
Mise à part cette tête monstrueuse l’origine de la figure principale est évidente, si son sens l’est moins : d’une part l’arcane de tarot dite du Pendu, dont le personnage est suspendu à l’envers dans une position semblable ; elle renforce à la fois l’idée de sacrifice et d’initiation, si l’on choisit de suivre l’interprétation classique de cette lame. D’autre part la figure centrale d’une revue philosophique et mystique publiée au mitan des années 1930 (ci-dessous à gauche). Le peintre, illustrateur et graveur André Masson est également l’inspirateur direct de l’Acéphale réalisé par Forkas en 2013 pour l’album The Satanist de Behemoth, doté d’attributs proches de celui de Masson mais dans une posture et un cadre plus directement évocateurs de l’Homme vitruvien de Da Vinci (ci-dessous à droite). Dans le Don de Prométhée que nous venons de voir le cœur enflammé, selon Masson celui de « notre maître Dionysos », est tenu dans la main droite. Le poignard à la fois guerrier et sacrificiel armant initialement la main gauche, encore présent en 2013, a disparu au profit d’une coupe ouvragée énigmatique.
Attardons-nous sur cette piste. Surréaliste « dissident », Masson est notamment un adepte du dessin automatique, comme A. O. Spare ou Forkas. La revue de brève existence Acéphale, résolument antifasciste, d’inspiration dionysiaque et nietzschéenne, pourrait être de première importance pour Denis Kostromitin – qui cite tout particulièrement son fondateur Georges Bataille. Nous retrouvons aussi dans ce courant mystico-artistique français une veine symboliste familière…
« Acéphale » est le personnage-emblème du mouvement mystique et révolutionnaire lancé par Bataille et Masson pendant leur séjour en Espagne durant les évènements de 1936, porté notamment par la société secrète – encore une – connue sous le même nom. Cette tentative de mise à feu d’une révolution paradoxalement « religieuse » et athée échouera, mais Bataille poussera l’enfièvrement jusqu’à exiger en vain des quelques adeptes subsistants, peu avant le début de la guerre, qu’ils lui accordent une mort par décapitation en pleine forêt. L’acéphalité dans ce contexte est pensée comme émancipatrice, délivrant l’Homme d’une identité aliénante soumise à l’image de son Créateur, et le libérant sans doute dans un même mouvement de la tyrannie d’une raison froide et calculatrice.
La référence est toujours présente mais déjà remaniée dans cette Etude pour l’entrée du labyrinthe de 2014, ci-dessous. Une cape noire couvre les épaules du nu classique, objet d’un curieux équarrissage : un homme sans tête dont les entrailles exposées dessinent un dédale, et dont les parties génitales sont remplacées – ou masquées – par une tête bovine. L’acéphale anonyme de Masson devient, par une transmutation personnelle de Forkas, le Minotaure décapité par Thésée – notons qu’un bucrane était encore représenté sur le linteau dans une étude préliminaire du Don de Prométhée en 2016, indiquant une hésitation entre la figure de la gorgone et celle du taureau. Astérion, nom parfois donné à la bête minoenne, est ici un homme au visage monstrueux ou absent, portant devant lui sa propre tête tranchée à la façon d’un masque de théâtre.
L’usage du crâne de bovin comme motif décoratif, déjà solidement attesté dans l’Antiquité, renvoyait selon toute vraisemblance aux sacrifices à destination des dieux. Nous remarquons aussi sous le col de notre sans-tête un gorgoneion grimaçant à peine esquissé, et au-dessus un rameau de vigne qui vient se substituer au visage, signalant une présence dionysiaque. Peut-être le peintre slave est-il familier d’une autre œuvre illustrée par André Masson, le Miroir de la tauromachie publiée en 1938 par Michel Leiris, ode à l’immolation du taureau dans l’arène, pour lui sensuelle et sacrée, dans laquelle nous contemplons la tête de l’animal flottant tel un monstrueux Mandylion au milieu de la muleta du matador renversé, surplombant un enchevêtrement de corps d’hommes, de femmes et de bêtes, qui tient autant du massacre que d’une scène pornographique.
Mais ce thème du Minotaure vaincu nous renvoie surtout irrésistiblement à un texte tragique et absurde de Borges déjà cité par Forkas, La demeure d’Astérion, dépeignant les états d’âme du monstrueux hybride, plus proches des émois d’un jeune prince naïf et innocent que des turpitudes d’un démon sanguinaire. La bête y anticipe la rencontre avec son bourreau comme une libération. Pour elle, le labyrinthe qui constitue son palais et le monde extérieur ne sont pas séparés ; le monde est le labyrinthe – ce qui revient à dire que la demeure d’Astérion est sans limites, mais aussi qu’il ne saurait s’en évader que dans la mort. Pour Forkas, qui assimile l’acéphale prométhéen de Masson au Minotaure décapité, le dédale est aussi intérieur, viscéral, continuité entre l’univers et l’homme. Le sacrifice semble l’unique voie d’évasion hors de cette prison mondaine et charnelle. Les entrailles de l’animal immolé sont aussi l’un des canaux privilégiés des prédictions de l’aruspice antique, une manifestation du Destin, auquel nul ne saurait se soustraire.
Soulignons ici derechef la convergence avec les élaborations artistico-mystico-intellectuelles de Georges Bataille et André Masson : le sacrifice salvateur est central dans un recueil éponyme (Sacrifices, 1936) écrit par le premier et illustré par le second, et nous y retrouvons notamment notre vieil ami le monstre bucéphale, ainsi que le taureau de Mithra dont la mort devait régénérer le monde… Mais aussi la figure du Christ, là encore divinité sacrifiée par les Hommes pour assurer leur sauvegarde. Les figures décapitées de Forkas vibrent de la même pulsion de vie et de mort, transcendante, du même violent désir de s’affranchir des limites de l’Homme[24].
Sur un autre plan, impossible de ne pas percevoir les points communs entre les destinées de la gorgone Méduse et du Minotaure, plusieurs fois représentés par notre Russe. Tous deux monstres hybrides haïs par les mortels, tous deux jouets de la fatalité condamnés par les dieux à une malédiction qui sanctionne un acte dont ils sont innocents, tous deux livrés à une solitude sans remède par leur animalité monstrueuse qui les maintient hors de la cité, refoulés dans des lieux désolés aux marges du monde. Tous deux mis à mort par de grands héros célébrés, porteurs de civilisation, Persée pour l’une, pour l’autre Thésée. Leur fin violente est l’acte fondateur qui libère le potentiel de la civilisation humaine en marquant le triomphe de celle-ci sur le monde sauvage, les eschatiaï : la tête de la gorgone viendra orner le bouclier d’Athéna, protectrice de la cité, et ses défenseurs adopteront à leur tour cet emblème. La bête du labyrinthe cessera de dévorer les jeunes gens, forces vives d’Athènes, ouvrant une nouvelle ère de prospérité.
Tout comme la bestialité menaçant dans les mythes la cité grecque est anéantie par le bronze civilisateur du héros, le Minotaure représenté par Forkas voit sa part bestiale séparée de son corps d’homme, destin qu’il a peut-être appelé de ses vœux : sans doute la position génitale du crâne dans l’étude que nous avons vu plus haut fait-elle écho au “désir de mort” décrit par Bataille. Dans cette castration symbolique la bête pourrait être renvoyée à sa juste place, la sexualité, pulsion à la fois divine et animale.
Il faut intégrer au thème du labyrinthe, de Thésée et du Minotaure une peinture réalisée pour un album du groupe Castle dont les préoccupations rejoignaient celles de Denis Kostromitin : on y voit Thésée (d’après l’auteur[25]) pénétrer à l’intérieur d’un taureau d’airain, qui représente ici sans ambiguïté le dédale, cependant qu’Ariane noue à sa cheville le fil doré qui doit garantir son salut. De nouveau nous est suggérée l’intériorité du labyrinthe, dans cette scène quasiment confondu avec son gardien, de même que la nature prométhéenne du héros, porteur d’une torche ardente dont la lumière va percer l’obscurité des entrailles de la bête. La forme de la statue bovine est celle également d’un instrument de supplice antique, vocation qui semble confirmée par la plateforme pyrrhique sur laquelle elle est juchée et par le crâne encore fumant gisant à ses côtés… La signature placée directement au-dessus de ce vestige semble désigner l’artiste comme la véritable victime sacrificielle, peut-être immolée au feu de la Vérité, quelle qu’elle puisse être.
Apprécions la version finale de cette œuvre livrée pour l’album, ornée d’un logo créé spécialement par Forkas en jouant subtilement avec l’esthétique du labyrinthe :
Enfin une peinture de la même série intitulée La Danse d’Astérion nous présente un personnage dansant au milieu des flammes de l’initiation (toujours une présence du feu), son visage absent remplacé par une étincelle divine, ses organes sexuels prenant cette fois l’apparence d’une tête humaine sanguinolente proche d’un gorgoneion ; l’animalité paraît néanmoins matérialisée par les cornes brandies triomphalement, comme un hommage au sacrifice de l’homme-taureau. L’image de l’homme-gorgone serait cette fois synonyme par elle-même d’une bestialité renvoyée à la place occupée par les parties génitales au moyen d’une décapitation-émasculation, tout en étant remplacée au sommet du corps par un astre qui pourrait être celui de la Connaissance ou de l’inconscient, le labyrinthe ayant quant à lui disparu de la représentation – signe que le parcours initiatique a atteint son terme ?
Cette glose – au demeurant fort limitée, je dois l’admettre – autour des figures sans tête ou des têtes sans corps nous permet au moins d’entrevoir les interprétations croisées et variées auxquelles se prête volontiers le travail de Forkas. Nous y contemplons aussi le cheminement du peintre, qui procède par itérations successives, hybridations de références puisées dans des fonds symbolistes, ésotériques, artistiques, littéraires, mythologiques, brodées sur une trame profondément personnelle.
A ceux et celles qui reprocheraient à Denis Forkas Kostromitin son hermétisme, au sens d’inaccessibilité, ajoutons que non seulement celui-ci n’a certainement jamais cherché à être accessible, mais que la compréhension limitée du spectateur est partie prenante de sa démarche. La position du regardant, perplexe et songeur face à l’obscurité de représentations dont l’indéchiffrabilité demeure partiellement irréductible, doit le pousser à chercher en lui des interprétations qui relèvent moins de l’érudition que d’une forme d’intuition, établissant un dialogue avec la toile qui ne peut qu’être individuel. Mais surtout, l’hermétisme en lui-même transmet une émotion, suscite une réflexion ; il est un message en propre, qui transcende pour ainsi dire son contenu intentionnel. Il faut souligner que l’une des forces de ce travail est de se prêter volontiers à des analyses savantes, sans que celles-ci soient nécessaires pour en apprécier la puissance immersive, car il mobilise volontiers des représentations et une esthétique qui suscitent en nous de sourdes réminiscences. En ce sens son œuvre n’a rien d’élitiste, elle peut résonner en chacun sans que l’érudition se révèle impérative.
Conclusion
Comme je le craignais en m’attaquant à cet artiste, il m’a été impossible d’honorer seulement le quart de mes ambitions. Des pistes innombrables, parfois prometteuses, sont demeurées dans l’ombre faute de temps. Je ne crois pas avoir pu lui rendre pleinement justice malgré l’étalement bavard de cette page. Il faut admettre que la passion de Forkas pour les arts de tous horizons, son dialogue constant avec la gnose et les replis inextricables de son travail réclameraient plus qu’un article de blog.
Quelles que soient mes propres défiances à l’égard du système de pensée qu’il embrasse, je persiste à juger cet artiste important dans le paysage pictural de notre époque, bien au-delà du registre de l’illustration auquel on l’assigne souvent. L’épuisement de la tradition artistique figurative n’a rien de l’issue inéluctable d’une évolution linéaire, qui verrait dans l’abstraction pure ou dans la performance son achèvement, la « fin de l’Histoire ». Dans sa quête autant spirituelle qu’esthétique Forkas ne craint pas de s’approprier l’héritage de l’Antiquité et ceux de tous les âges qui nous en séparent ; il le fait dans le respect et la transgression, accouplant la religion au blasphème. Il ne gomme ni n’exalte les antagonismes entre passé et présent, arts d’Orient et d’Occident, peinture laïque ou sacrée : il les assemble, les greffe, les tord, les mutile, accouche d’hybrides magnifiques, de monstres raffinés, qui mugissent à propos de mondes déchus et à venir et nous murmurent dans l’obscurité que décidément, tout n’a pas été dit.
[1] ANSELL Robert, “The Eglantine Breath: Denis Forkas Kostromitin”, in Abraxas n°3, printemps 2013, pp. 131-147, en particulier p. 133↩
[2] https://acourseindying.com/interview-denis-forkas-kostromitin-exploring-death-through-occultism-and-art/↩
[3] http://transmutearts.blogspot.com/2010/08/denis-forkas-kostromitin.html↩
[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Apollonian_and_Dionysian#cite_note-1↩
[5]http://www.thelasttuesdaysociety.org/files/2514/9371/8099/Spare-BROCHURE-low-res.pdf↩
[6] DEL CARO Adrian, « Dionysian Classicism, or Nietzsche’s Appropriation of an Aesthetic Norm », in Journal of the History of Ideas, vol. 50, n° 4 (oct. – déc. 1989), pp. 589-605, en particulier p. 590, https://www.jstor.org/stable/2709799?read-now=1&seq=2#page_scan_tab_contents↩
[7] http://transmutearts.blogspot.com/2010/08/denis-forkas-kostromitin.html↩
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Foras↩
[9] https://translate.google.com/translate?hl=fr&sl=ru&u=https://katab.asia/2017/11/16/forkas/&prev=search&pto=aue↩
[10] https://inventin.lautre.net/livres/Manifeste-du-surrealisme-1924.pdf↩
[11] https://www.philosophieetsurrealisme.fr/congreso-el-surrealismo-y-el-sueno-francais-sous-titre-espagnol/↩
[12] https://www.denisforkas.com/post/131286434262/dream-of-the-chamber-of-vessels-11015-yet↩
[13] HUMBERT Elie G., L’Homme aux prises avec l’inconscient. Réflexions sur la psychologie jungienne, Albin Michel, Coll. Spiritualité, 2000↩
[14] Spiritually I am deeply inspired by the numberless facets of human nature, especially the hidden, primal, less comfortable emotions. This, in turn, leads to studies of the occult, mythology and mysticism of various cultures of the past. http://transmutearts.blogspot.com/2010/08/denis-forkas-kostromitin.html↩
[15] « The reception of N. Gyzis’s Behold the Bridegroom cometh by R. Steiner », in Studies on Western Esotericism in Central and Eastern Europe, JATE Press, 2019, pp. 83 à 104, en particulier pp. 88 à 90↩
[16] https://bodhitree.com/conversation-artistmeet-denis-forkas-artist-vivid-dreams/↩
[17] http://transmutearts.blogspot.com/2010/08/denis-forkas-kostromitin.html↩
[18] https://imposemagazine.com/bytes/arts/horseback-half-blood-artwork-kostromitin↩
[19] 1864-1954, parfois Anna Maria May-Kerpen puis May-Rychter ou Von Richter↩
[20] https://lazarides.pagesperso-orange.fr/Triptyque-Graal.pdf↩
[21] https://drakontomalloi.tumblr.com/↩
[22] https://drakontomalloi.tumblr.com/page/363↩
[23] https://www.decibelmagazine.com/2011/04/25/cover-art-the-making-of-horseback-s-the-gorgon-tongue/↩
[24] MORANDO Camille, « Le corps sans limites ou l’acéphalité : le personnage d’Acéphale, secret et équivoque, dans les œuvres des artistes autour du Collège de Sociologie », in RACAR: revue d’art canadienne / Canadian Art Review, vol. 31, n° ½, pp. 81-89, en particulier p. 82, 2006, https://www.jstor.org/stable/42631171?read-now=1&seq=1#page_scan_tab_contents↩
[25] https://redefinemag.net/2014/album-covers-of-the-year-2014-interviews/3/↩