
Rappel des faits
Comme je l’ai déjà souligné dans de précédents articles, le problème de l’orientation artistique adoptée par Magic : L’Assemblée dans les récentes années ne trouve pas sa source à mes yeux dans le manque de compétence ou de virtuosité des artistes engagés par WotC. La chaîne Youtube Rhystic Studies l’a démontré à longueur d’analyses, celles-ci ne sont pas en cause : bien au contraire, la formation et l’expérience des illustrateurs actuels sont de loin supérieures à celles des 25 dessinateurs engagés en 1993 pour la première édition, comme le reconnaissent d’ailleurs ceux-ci.
Les contributeurs contemporains sont issus en général d’écoles d’arts graphiques prestigieuses et justifient de C.V. déjà impressionnants au moment de leur recrutement, là où leurs lointains précurseurs débutaient dans le métier, espérant commencer à se faire un nom à défaut de garnir leur portefeuille (une illustration pour Alpha était payée 50$[1]). La plupart furent d’ailleurs recrutés parmi les étudiants en art encore sur les bancs de l’école lors de cette première commande, ce qui explique la relative maladresse et la naïveté de la majorité des illustrations[2]. Beaucoup cherchaient encore à élaborer leur style propre.

D’un autre côté le fait de s’appuyer pour établir les prémices visuelles de Magic sur de très jeunes individus, encore majoritairement étrangers au monde de l’illustration de fantasy, permit de s’affranchir un peu des styles dominants employés par les grands noms du secteur – ce qui n’empêcha pas certains vétérans de rejoindre l’aventure un peu plus tard[3]. Ce petit cosmos en formation, tout en exploitant les références du genre, ne restait pas confiné à des archétypes rebattus. Mark Tedin disait de cet univers : « Il a un léger penchant pour la science-fiction, mais avec un côté sensiblement jules-vernien pour ce qui est de la technologie, ce qui peut être très amusant. Il n’a pas à rester collé à un truc du genre âge des ténèbres et massacrons-tout-ce-qui-bouge[4]. »
Comme nous l’avons vu, le cahier des charges s’avéra singulièrement souple pour les premières livraisons : il suffit pour s’en rendre compte d’examiner les illustrations alternatives de Fallen Empires pour certaines cartes, ou de comparer les interprétations variées d’une race aussi commune que les gobelins pour une même édition.
Oui, les trois cartes ci-dessus sont bien strictement identiques du point de vue de leurs caractéristiques comme de leur édition. Et oui, les deux créatures ci-dessous appartiennent bien à la même espèce – et à la même édition. Ceci nous permet de prendre la mesure des contingences interprétatives possibles d’un artiste à l’autre, lorsque ceux-ci s’appuyaient sur une description minimaliste.
Il régnait alors la plus fantasque anarchie picturale : interprétation littérale ou allégorique du nom d’un sort et de ses effets supposés, géographie fluctuante, contexte narratif incertain, styles graphiques allant du réalisme à la quasi abstraction, en passant par la caricature (cf. L’anti-naturalisme dans Magic). Si peu de ces pièces anciennes prises individuellement peuvent prétendre au statut de chef-d’œuvre, l’impression d’ensemble est celle d’une bibliothèque débordante d’enluminures colorées, évoquant presque le foisonnement des ouvrages interdits du Nom de la Rose. L’homogénéité actuelle de Magic par rapport à ses débuts – ou même si l’on compare avec le seuil des années 2010 – est donc bien réelle, même si elle demeure relative.
Il est évident, aujourd’hui encore, que tous les artistes n’emploient pas exactement les mêmes cadrages, les mêmes compositions, les mêmes palettes, la même approche de la lumière, etc. Pourtant les procédés graphiques sont très semblables, et la diversité des dix à quinze premières années est sans commune mesure avec celle du jeu actuel. Pourquoi ? Nous avons entrevu précédemment quelques pistes mobilisant le marketing et la raison économique. Penchons-nous davantage sur le « comment », en jetant d’abord un regard sur les carrières des plus « jeunes » artistes sous contrat, instruments du changement.
Qui sont les illustrateurs aujourd’hui ?
Écourtons le suspense : bon nombre d’illustrateurs engagés récemment par WotC travaillent conjointement pour le marché très florissant mais très formaté du jeu vidéo en ligne, notamment sur mobile. Ainsi Greg Rutkowski, embauché en 2017 pour la très plate extension Amonkhet, fournit-il également des illustrations de sorcières tendance pin-up et d’anges en porte-jarretelles pour le jeu développé sur Android (iPhone) Legend of the Cryptids. Celui-ci figure actuellement au catalogue d’une compagnie japonaise spécialisée dans les « RPGs » pour mobiles mettant en scène des magiciennes atteintes d’hypertrophie mammaire. Rutkowski œuvrait également en tant que concept artist sur Mortal Kombat X, et précédemment pour un MMORPG free-to-play intitulé Sea Fight. Le style de ses illustrations sur commande pourrait être qualifié sans abus de « generic fantasy » : grande maîtrise technique, compositions classiques, trait léché, réalisme des figures, ambiances sombres (parfois égayées par des flaques de couleurs fluorescentes), paysages grandioses sur fond de soleil couchant, monstres et accessoires reprenant servilement les standards du genre, personnages interchangeables aux physiques de mannequins. L’iconographie, comme le style, sont aux antipodes de toute forme d’originalité.
Une autre illustratrice, Sara Winters, engagée en 2016 pour le bloc Kaladesh, a travaillé entre autres pour la société de jeux de casino online Gimmie Games et pour l’éditeur de jeux vidéo Valve Software, en plus de multiples maisons d’édition de jeux de plateau, jeux de rôle ou de cartes. Ses nombreux personnages sont, là encore, aussi brillamment exécutés que lisses et stéréotypés. Le curriculum de S. Winters conforte davantage notre hypothèse : celle d’une forte interpénétration entre les marchés du jeu en ligne et les jeux « physiques », souvent eux-mêmes dématérialisés pour être adaptés online. Phénomène d’abord économique donc, mais qui semble avoir des implications esthétiques très palpables puisque les modèles circulent indistinctement entre les différents supports.
Sur un versant légèrement plus « cartoon » (ou « wowesque »), l’illustrateur Jason Kang a lui aussi livré des concepts pour l’industrie vidéoludique, notamment pour diverses extensions d’Hearthstone, le jeu de cartes en ligne du géant Blizzard Entertainment, situé dans l’univers de WoW[5]. D’autres commandes incluent un autre jeu de carte en ligne free-to-play produit par Bethesda et intitulé The Elder Scrolls: Legends, et, à nouveau, le jeu pour téléphone mobile Legend of the Cryptids. Son style est sensiblement moins photo-réaliste que celui des deux précédents, mais suit néanmoins une ligne assez générique.
Terminons ce très succinct tour d’horizon par Randy Vargas, embauché sur Magic en 2017. Nous voyons apparaître dans son C.V., derechef, le nom de Valve Corporation, pour un jeu de fantasy dénommé Artifact, là encore un jeu de cartes à collectionner en ligne, basé sur l’univers de Dota 2 – jeu vidéo online très populaire lui-même dérivé d’un mod de Warcraft III… Sur lequel a d’ailleurs travaillé l’infatigable Richard Garfield, concepteur originel de Magic. Vargas fournit également de nombreux concepts pour – une fois de plus – Legends of the Cryptids, le jeu pour mobile. Le style, toujours très maîtrisé et cinématographique, ne dénote pas du point de vue du « réalisme », de la débauche de fluorescence et de la platitude stéréotypée des décors, des créatures, des personnages et des postures.
Notons au passage que le terme fantasy dérive du français « fantaisie », dont voici la définition selon le Larousse : « fantaisie nf 1. Originalité ; imprévu : manquer de fantaisie. 2. Imagination libre ; faculté de création : donner libre cours à sa fantaisie. 3. Goût, gré : vivre à sa fantaisie[6]. » Comprenne qui pourra…
Ces quatre exemples ont été pris au hasard dans la liste des illustrateurs de Magic[7], les seules conditions dictant mon choix étant un recrutement récent (moins de cinq ans) et un nombre d’illustrations pour ce seul jeu supérieur à dix. Mais déjà nous voyons apparaître un motif récurrent, et les soupçons se confirment : les illustrateurs/concept artists mettant actuellement en image l’univers de Magic : l’Assemblée sont recrutés et travaillent en parallèle dans l’industrie vidéoludique « de masse », particulièrement sur les jeux en ligne à destination du grand public. Il n’y a donc à priori rien d’étonnant à ce que les styles mis en œuvres dans ces divers mondes de fiction fantastiques soient très proches : ils sont le fait du même vivier d’artistes, travaillant principalement pour les colosses de l’entertainment, et naviguant d’un support à l’autre – physique ou virtuel, sans distinction. Nous pourrions nous pencher sur bien d’autres illustrateurs, parfois un peu plus anciens, et retrouver le même motif : Steve Argyle a débuté dans les CGI (effets spéciaux numériques) avant d’offrir ses talents à l’industrie du jeu vidéo[8], Anastasia Ovchinnikova a travaillé sur des jeux pour mobile dont le décidément incontournable Legend of the Cryptids[9], Cliff Childs s’est fait connaître en commençant sa carrière pour Sony sur la franchise à très gros budget God of War[10], etc.
Est-ce à dire que les artistes de Magic ou d’autres jeux « papier » devraient s’abstenir de travailler sur des projets de jeux digitaux ? La question pertinente n’est pas exactement celle-ci. Tout d’abord, même si le phénomène est de plus en plus courant, tous les artistes de l’actuelle écurie Wizards ne se sont pas formés au sein de l’industrie digitale. Et bien sûr, des illustrateurs de Magic ou d’autres jeux sur table ont travaillé sur des licences vidéoludiques par le passé – on se souvient entre autres de la contribution de Terese Nielsen à Gabriel Knight[11], et au MMORPG Meridian 59 sur ordinateur[12]. Le célèbre Gerald Brom, actif chez WotC de 1997 à 2003, a œuvré aussi bien pour des éditeurs de comics que pour Hollywood, et sur des jeux vidéo aussi populaires qu’Heretic I et II, Doom II ou Diablo II, III et IV[13]. Il semble même avoir participé en tant qu’illustrateur à… Hearthstone, le rouleau compresseur de Blizzard Entertainment, chef de file actuel des jeux de cartes à collectionner en ligne[14].
Illustrateurs et C.V. dans les années 1990
Faut-il généraliser ces expériences dans le multimédia à la plupart des artistes de l’ancienne génération ? Non, en tout cas certainement à un degré bien moindre qu’actuellement. Tout d’abord la première vague créative, celle des étudiants en art d’Alpha, ne bénéficiait à priori d’aucune expérience dans ce domaine. Les rares artistes ayant déjà un peu d’expérience professionnelle, comme Tedin, Maddocks ou Myrfors, avaient fait leurs premières armes sur des licences de jeux « papier ». Relevons quand même que Christopher Rush, l’illustrateur du célébrissime Black Lotus, en plus de son travail pour les produits sur table du Wizards of the Coast « pré-Magic », affirmait avoir été employé comme designer par les studios digitaux Nintendo et Apogee. Par la suite il collabora notamment avec ce dernier au FPS fantastique et ultraviolent Blood, développé avec le moteur de Duke Nukem 3D[15].
À quelques exceptions près ce n’est qu’à partir de 1995-96 que nous voyons peu à peu se mettre en place une équipe d’illustrateurs plus aguerris, attirés par le succès du jeu et que WotC est désormais en mesure de rétribuer. Examinons donc rapidement les antécédents de ces figures de la « seconde vague », au moment de leur premier contrat pour Magic :
John Avon livrait déjà des couvertures de romans depuis une quinzaine d’années, notamment pour des titres de Stephen King, Arthur C. Clarke ou encore Terry Pratchett[16]. David A. Cherry était également un illustrateur de romans de S.F. et de fantasy acclamé[17]. Liz Danforth travaillait depuis 1978 pour l’industrie du jeu de rôle (Flying Buffalo et son jeu d’heroic-fantasy intitulé Tunnels and Trolls)[18] ; elle participa en 1988 au design du jeu vidéo Wasteland[19], un ancêtre spirituel de Fallout. Kevin « Kev » Walker était depuis 1987 un illustrateur prolifique pour plusieurs magazines de comics, et débutait parallèlement une carrière dans Warhammer, l’univers fantastique décliné à l’époque en jeux de rôle et de figurines[20]. Rebecca Guay commença sa carrière en 1992 dans l’illustration jeunesse (Cricket Magazine), avant de s’orienter rapidement vers la BD, les jeux de rôle et les cartes à collectionner[21].
Gerald Brom travailla d’abord pour de grandes marques comme IBM, Columbia Pictures ou CNN dans la seconde moitié des années 1980, avant de se faire connaître des fans de fantasy en rejoignant TSR en 1989, puis l’industrie du jeu vidéo en 1994 sur Heretic et Doom II[22]. Donato Giancola, diplômé en 1992, travailla comme assistant pour le peintre new-yorkais Vincent Desiderio de 1993 à 1997 ; il commença à se faire un nom en illustrant des couvertures d’ouvrages de science-fiction et fantasy avant de s’orienter vers les jeux de cartes à collectionner (Middle Earth : The Wizards, 1995)[23]. Encore tout jeune artiste, Roger Raupp rejoignit un peu par hasard l’un des magazines attitrés de Donjons & Dragons en tant qu’illustrateur[24]. Mike Dringenberg quant à lui débuta sa carrière en travaillant pour divers éditeurs de comics américains dans les années 1980, avant de rejoindre DC Comics et de connaître une certaine notoriété en participant à la série graphique The Sandman[25]. Rob Bliss participa dans un premier temps au comic humoristico-violent The Clown pour l’éditeur 2000 AD (ci-dessous à gauche). Terese Nielsen, elle aussi, travailla à ses débuts dans la bande-dessinée, entre autres sur la très sombre mini-série graphique Ruins pour Marvel (planche de droite).
Quid des premiers responsables artistiques ? Jesper Myrfors, encore étudiant mais déterminé à faire carrière dans l’illustration de fantasy version ludique, était entré en force chez WotC l’année précédant la création de Magic[26]. Sandra Everingham venait de la même université dans laquelle elle suivait le cursus des beaux-arts, et WotC fut l’un de ses premiers employeurs ; n’eut été le succès massif du jeu de cartes elle se serait de son propre aveu engagée dans une carrière artistique « classique » – possiblement vers l’abstrait[27]. Sue Ann Harkey était une designeuse spécialisée dans les magazines et les livres pop-up (en relief) et son acolyte Maria Cabardo avait une certaine expérience dans la bande-dessinée – c’est en partie à elles deux que WotC doit l’embauche au milieu des années 1990 de cette seconde vague très orientée BD.
Bien sûr il ne s’agit que d’un échantillon limité, et il faut se souvenir que WotC engageait également de jeunes artistes prometteurs encore à l’orée de leur carrière (par exemple Scott M. Fischer ou Adam Rex). Mais plusieurs observations s’imposent. Tout d’abord l’industrie du jeu vidéo est loin d’être complètement absente de ce tableau, mais occupe encore une place assez limitée dans les C.V. des artistes embauchés vers le milieu des années 1990. Cette relative discrétion peut s’expliquer partiellement par le moindre développement du domaine vidéoludique durant cette période, même si le jeu vidéo est déjà en passe de devenir un loisir bien ancré et que certains studios s’affirment à travers des produits grand public largement distribués.
Beaucoup d’artistes de fantasy doivent alors au monde du livre leurs premières expériences ; ils débutent en illustrant des couvertures de romans et en travaillant pour des éditeurs de comics et de jeux sur table. Bien que certaines passerelles existent à ce moment entre les deux univers depuis une vingtaine d’années au moins[28], les milieux du numérique et du papier semblent dans la décennie 1990-2000 encore distincts, contrairement à la situation qui prévaut largement aujourd’hui. Il ressort de nombreux entretiens accessibles sur internet que les artistes de la « génération des 25 » les plus intéressés par la fantasy s’inspiraient beaucoup stylistiquement des pionniers des jeux de rôle papier, visibles notamment dans les ouvrages édités par TSR (Donjons & Dragons). Christopher Rush cite ainsi Larry Elmore, Michael Whelan ou Brom[29] – cependant comme nous l’avons vu ailleurs une bonne partie de l’équipe initiale n’avait pas d’affinités particulières avec cette culture.
Le rôle de la bande-dessinée
Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’un grand nombre d’artistes des 1990’s se sont initiés aux arts graphiques à travers les bande-dessinées, particulièrement dans leur formule américaine la plus courante, les comics de super-héros. Si les produits tout-venant de ce marché reflètent depuis longtemps une forte standardisation, une offre plus « adulte » néanmoins accessible et proposant dans certains cas des graphismes singuliers s’est développée vers la même époque. L’une des pierres de touche de cet élan avant-gardiste fut le roman graphique Arkham Asylum écrit par Grant Morrison et illustré par Dave McKean. Publié en 1989, il met en scène une variante sinistre et torturée de l’univers de Batman. Sur le plan visuel, certaines planches offrent un spectacle expressionniste assez perturbant. D’après son scénariste, la BD cherchait à se démarquer des productions « réalistes » en vogue en puisant ses références visuelles dans « le surréalisme, les bizarreries d’Europe de l’Est, Cocteau, Artaud, Švankmajer, les frères Quay, etc. » L’auteur poursuit : « L’intention était de créer quelque chose qui était davantage comparable à un morceau de musique ou à un film expérimental qu’à une bande-dessinée d’aventure typique[30]. »

Un espace pour la BD atypique et innovante existe donc à la fin des années 1980 aux Etats-Unis, ce qui signifie que des artistes en herbe tentés par le métier d’illustrateur y trouvent un répertoire beaucoup plus varié que l’image caricaturale trop souvent associée à ce médium dans le contexte américain. De 1989 à 1996, la série The Sandman créée par Neil Gaiman et publiée chez DC Comics emprunte elle aussi une voie de traverse, proposant un scénario ainsi qu’un univers visuel en marge des stéréotypes, qui lui vaudront de remporter un prix World Fantasy. Son influence sur Magic est palpable, puisque l’histoire intitulée Ramadan publiée dans le numéro 50 poussa le créateur du jeu Richard Garfield à choisir un contexte arabo-oriental pour la toute première extension, Arabian Nights, laquelle contient un clin d’œil explicite au récit graphique (la carte City in a Bottle)[31]. L’un des principaux illustrateurs du Sandman, Mike Dringenberg (planche à droite), fut par ailleurs engagé en 1996 sur l’extension Mirage.
Un autre grand illustrateur issu du milieu comics, le célèbre George Pratt, est engagé en 1996 par Sue Ann Harkey sur le bloc Mirage. Pratt jouit déjà à l’époque d’une confortable notoriété, ayant connu dès le début de sa carrière les honneurs de Marvel Comics et de la revue Heavy Metal (en 1982, 1983,1984 puis 1993) ; il est aussi nominé et récompensé à plusieurs reprises pour son roman graphique War Idyll dans la série Enemy Ace, publiée chez DC Comics en 1990. Son œuvre se distingue par des dessins au trait nerveux, des compositions simples mais puissamment dynamiques, l’usage d’aquarelle exprimée en tâches vigoureuses mais contrôlées, parfois en formes fuligineuses esquissant des univers d’un réalisme solidement documenté. Même si l’artiste ne livrera en tout que 14 cartes pour Wizards of the Coast, la collaboration cessant dès 1999, son recrutement témoigne là encore d’une volonté d’attirer des auteurs issus de parcours « classiques » dans la BD américaine, tout en étant réputés pour leur talentueux iconoclasme.
La donne a changé depuis. L’heure n’est sans doute plus à la prise de risque pour beaucoup de jeunes illustrateurs, qui se forment en fonction de la demande massive émanant des industries hollywoodienne et vidéoludique, plus que par et pour la bande-dessinée. Même si celle-ci n’est pas complètement absente du paysage artistico-ludique, et même si une offre importante existe toujours en matière de productions « alternatives », la BD n’est plus le médium graphique de référence, y compris pour des jeux imprimés sur papier. Elle même subit d’ailleurs partiellement l’influence des produits digitaux grand public.
Pour autant, il serait erroné sinon naïf de croire que les artistes ou les concepteurs du Magic de la première heure seraient restés « purs » vis-à-vis du numérique et de l’influence du jeu vidéo à l’heure actuelle. Certains sont eux-mêmes des gamers de longue date, voire travaillent pour l’industrie digitale comme Richard Garfield lui-même (pour Valve Software assez récemment, mais son intérêt pour le jeu vidéo est déjà ancien[32]). Le directeur artistique Jesper Myrfors œuvra lui aussi pour des éditeurs digitaux après sa seconde rupture avec WotC[33]. Au détour d’un article sur l’ambiance du R&D (équipe chargée du développement du jeu), Mark Rosewater signale dès 2002 que le jeu vidéo en réseau local fait partie des passe-temps favoris du staff, et lâche les noms de quelques-uns des titres les plus appréciés : on y retrouve sans surprise plusieurs gros succès de fantasy des années 1990-2000, comme Warcraft, Diablo, Heroes of Might and Magic ou Everquest[34]. Plus récemment Jeremy Cranford, directeur artistique pour Magic de 2003 à 2006, a poursuivi une fructueuse collaboration avec l’industrie du jeu de carte à collectionner online sur l’un des plus gros succès du genre, le fameux Hearthstone dérivé du World of Warcraft de Blizzard Entertainment.
Beaucoup, à l’instar du très persistant John Avon, ont intégré à leur travail l’outil numérique, sans doute pour le confort qu’il offre autant que pour se maintenir à jour vis-à-vis des grandes tendances esthétiques de la fantasy et de la science-fiction. Les vétérans de l’illustration semblent en règle générale assez admiratifs à l’égard des réalisations digitales de la génération actuelle. Le recours au numérique dans les années 1990 était donc limité par les possibilités techniques, et peut-être dans une certaine mesure par le poids encore important des traditions picturales perpétuées par les écoles d’art et de design, davantage que par une volonté assumée des illustrateurs eux-mêmes. Il faut bien dire que les premières tentatives d’intégration de volumes ou d’effets numériques il y a vingt-cinq ans avaient de quoi laisser dubitatif.
Cette lame de fond a pourtant balayé l’ensemble du paysage de l’illustration ludique, emportant au passage la plupart des anciens, qui n’eurent d’autre choix que de nager avec le courant. La vague amena à la fois une nouvelle manière de travailler et une esthétique de plus en plus autonome, qui touchèrent à leur tour les autres loisirs virtuels.
Hégémonie et mutation du jeu vidéo
Que s’est-il passé ? Vraisemblablement le monde du jeu digital, que ce soit sur ordinateur, console ou mobile, s’est transformé et étendu jusqu’à devenir le standard culturel de la sphère ludique au sens le plus large. Le public de l’entertainment numérique s’est « massifié » et diversifié, concernant dorénavant tous les genres et toutes les couches de la société. Les besoins en graphistes et concept designers de ce secteur sont devenus bien plus importants. Son chiffre d’affaire a explosé au point de faire concurrence à l’industrie du cinéma. Son influence s’est accrue en conséquence dans la pop culture : des films à très gros budgets comme Ready Player One sont tissés de références à la culture du gaming. Dans les écoles d’art et de design, certains enseignants travaillent eux-mêmes ou ont travaillé dans l’industrie vidéoludique[35]. Une autre conséquence de ce phénomène de fond est l’alignement des standards visuels sur ceux des jeux vidéo à succès, qui eux-mêmes recopient avec de faibles variations les recettes éprouvées par les quelques titres dominant le marché. Il s’agit d’un étrange renversement, puisque la culture des premiers designers de jeux vidéo modernes devait beaucoup, rappelons-le, à des précurseurs de carton et de papier comme Donjons & Dragons[36].
Dans le domaine qui nous intéresse, celui de la fantasy, les recettes du moment reposent comme ailleurs sur un gameplay nerveux et un feu d’artifice coloré permanent, depuis notamment Warcraft III et ses mods les plus populaires. La charte visuelle développée pour ce jeu reprenait certains codes des RPGs sur console et des animés japonais, mêlant en outre à sa fantasy classique des éléments empruntés aux designs des superhéros de comics[37]. Le jeu et ses dérivés ont joui d’une postérité vidéoludique qui n’a rien à envier à l’innombrable progéniture de Gengis Khan. Cet habillage acidulé, devenu progressivement le nouveau standard à partir des années 2000, est aussi propre à séduire une base de joueurs « casuals » (occasionnels) éventuellement très jeunes, qui pourraient être rétifs à des univers sombres ou austères. Quelques succès écrasants ont cimenté ces tendances : dans les années 2010, League of Legends a par exemple repris avec profit certains éléments de gameplay ainsi que les formules visuelles de son ancêtre, revendiquant jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’inscrits.
Les jeunes joueurs constituent un énorme réservoir de consommateurs, notamment grâce à l’explosion récente des jeux sur mobile, accessibles partout et à peu de frais, une forte proportion d’adolescents étant équipés de téléphones de dernière génération. Il s’agit d’un phénomène économique majeur pour l’industrie : les jeux pour mobiles et leurs pléthoriques contenus téléchargeables sont devenus, et de loin, les produits les plus rentables pour nombre de développeurs, au point de marginaliser les titres « traditionnels » de leurs catalogues. Et ces jeux ne peuvent que renforcer la tendance. Les couleurs criardes et les graphismes stéréotypés sont conçus pour attirer l’œil et rendre l’action plus lisible – ou du moins plus spectaculaire – sur le format réduit d’un écran de smartphone.

La fantasy est particulièrement concernée. Elle a toujours été une bonne cliente du divertissement, en vertu du dépaysement qui constitue pour ainsi dire sa raison d’être. Elle se prête bien aux spectacles pyrotechniques, aujourd’hui facilités par un usage débridé et banalisé de la magie. Oubliés les parcimonieux sortilèges de Gandalf, les enchantements rares et étranges de Mélusine, de Circé ou de Merlin, les longs rituels incantatoires, les fastidieux temps de repos imposés par Donjons & Dragons : l’heure est au vomissement de flammes, au crachat d’étincelles roses, au prolapsus chatoyant, délivrés sur un tempo de mitrailleuse. Le moindre geste – ou le moindre clic – déchaîne un nouvel effet, au point de susciter à la longue une forme de lassitude. Les décors ne sont pas épargnés : interfaces et paysages grandiloquents feraient parfois passer le pays d’Oz pour la Sibérie un soir de novembre.
Beaucoup de ces vains artifices se retrouvent hélas dans Magic, y compris ironiquement dans sa version papier. Leur ostentation est aggravée par la nature digitale des effets, qui rappellent sans surprise les wizz et les flash des jeux vidéo. Leur banalité, leur évidence vulgaire et convenue, leur facilité, la standardisation qui contribue à faire ressembler un produit de fantasy à n’importe quel produit de fantasy, tout cela n’est pas uniquement la résultante de la paresse des développeurs et des graphistes : il s’agit bien d’une stratégie commerciale délibérée, d’un emballage destiné à faire vendre n’importe quel produit, au mépris de son gameplay, de son univers, de son atmosphère ou de la qualité de sa narration. L’usage massif sur les cartes à jouer « physiques » de techniques ostensiblement digitales alliant effets visuels divers et modélisation 3D n’est pas lié uniquement à des problématiques d’efficacité (souplesse et rapidité d’exécution), mais doit se comprendre dans un cadre imposé désormais par le modèle vidéoludique. La norme en matière de culture visuelle est définie par les plus gros succès digitaux, et l’offre ne fait en somme que s’adapter aux références intégrées par les consommateurs-cibles – mais également par les artistes eux-mêmes.
Il en va ainsi des choix iconographiques ou du lore. Tout doit rappeler au joueur ce qu’il connaît déjà : des orques brutaux et musclés, des elfes délicats bondissant dans la forêt armés d’arcs et de sorts vert fluo (ce sont des elfes, ils aiment le vert), des humains engoncés dans des armures qui semblent conçues par la Wehrmacht, des nains bougons brandissant des haches plus grosses qu’eux. Et des personnages jeunes, beaux, musclés, indifférenciés, sexualisés « mais pas trop ». Mais nous avons déjà abordé ces questions en longueur.
Tout cela est empaqueté dans un style graphique lissé, calibré comme un design automobile, qui ne courre pas non plus le risque de perturber le joueur, de bousculer ses habitudes visuelles, d’introduire une nouveauté inconfortable – car la surprise, résultat cognitif d’une rencontre imprévue, est souvent synonyme d’inconfort. Le produit doit s’adapter en souplesse à une large gamme de joueurs : adultes ou préadolescents, asiatiques, américains, européens, puritains ou athées. Il s’agit surtout d’associer l’univers de Magic à un style unifié, pour les mêmes raisons d’identification du produit qui avaient déjà menées, une décennie plus tôt, à définir une iconographie commune pour chaque extension. Cette campagne de stérilisation créative est menée sans heurts : les normes sont déjà parfaitement intégrées par des exécutants nourris au pis de l’industrie digitale la plus conformiste. Ils connaissent assurément les attentes de leurs employeurs.
L’illustrateur Pete Venters résumait ainsi la question : « Cette timidité à l’égard des différences stylistiques se réduit à du marketing ; ils veulent une approche définie pour des raisons de branding [implantation de l’identité commerciale de la marque, NdT]. Cet aspect unifié est la manière dont ils règlent la question pour les licences[38]. » La première vague d’illustrations, en 1993, faisait feu de tout bois ; la seconde, vers 1995-96, regardait en direction de la BD alternative, un environnement encourageant par définition une forte singularité graphique. Ces époques sont révolues. Non seulement la marque Magic ne souffre aucune hétérogénéité en son sein, mais les standards qu’elle adopte sont en bonne part issus de la sphère du divertissement digital grand public, qui à l’instar de WotC n’a aucun intérêt à promouvoir une quelconque originalité créative – l’argent est frileux.
Quoiqu’il en soit ce qui faisait au départ la spécificité visuelle de Magic par rapport aux jeux vidéo ou aux jeux de plateau traditionnels, à savoir la grande variété des styles graphiques au sein d’un même univers de jeu, a pratiquement disparu. Cela nous ramène à une question trop longtemps éludée : où devrait se situer la différence de philosophie esthétique entre un univers de jeu digital et celui décliné à travers un jeu de cartes à collectionner comme Magic (ou comme Vampire : The Masquerade, Netrunner ou d’autres CCG de l’ « Âge d’Or ») ? Dans les libertés artistiques possibles, justement. Un jeu vidéo place le joueur dans un monde qui pour être cohérent doit être homogène, du fait de la forte continuité impliquée par la progression et par l’immersion « intégrale » du joueur, mais également en raison des contraintes techniques : l’interprétation du concept art via le moteur graphique accentue le nivellement des styles, en particulier lorsque le jeu s’appuie sur des modélisations 3D.
Tout ne se prête pas avec un même bonheur à la transposition numérique : certains effets propres à un médium physique, percutants sur le papier, sont peu convaincants sur un moniteur ; certaines proportions improbables, certaines distorsions du réel, rendent l’animation d’un personnage peint impossible ou grotesque ; certains décors oniriques sont imparcourables dans l’environnement simulé d’un jeu vidéo. De manière générale les œuvres les plus irréalistes sont les plus ardues à emmener vers l’écran. En outre le gameplay digital doit être lisible à travers les graphismes, l’image est donc chargée de transmettre au joueur des informations précises sur le monde, les actions possibles, les ennemis, etc. Cela implique une certaine codification visuelle.
À l’inverse, un jeu de cartes est constitué de l’interaction de nombreuses pièces séparées, et les illustrations sont de simples aperçus du monde décrit par le jeu. Les images sont beaucoup plus distinctes du gameplay, qui est véhiculé par le texte, elles sont donc en grande partie libérées de leur fonction informative. C’est cette autonomie des images vis-à-vis des mécaniques du jeu et de la progression du joueur qui autorise une diversité de styles potentiellement infinie. Comme je l’ai dit plusieurs fois, ces images ne sont que des interprétations d’un monde fantastique, et elles peuvent s’assumer comme telles, avec tout ce que cela suppose d’appropriation et de subjectivité d’un artiste à l’autre.
[1]Contre environ 1200€ en 2012, selon Christopher Rush (https://www.dailydot.com/parsec/christopher-rush-magic-gathering-interview/).↩
[2]https://www.bigar.com/articles/2018/11/14/juliebaroh-interview.html↩
[3]https://www.mtggoldfish.com/articles/magic-history-art-of-darkness-with-jesper-myrfors, 14 avril 2016↩
[4]« It’s got a slight lean towards science fiction, but with a slight sort of Jules Verne-ian feel to the technology, which can be a lot of fun. It doesn’t have to stick to a dark ages hack-and-slay sort of thing. », https://magic.wizards.com/en/articles/archive/behind-canvas-mark-tedin-2002-11-04↩
[5]https://www.artstation.com/jasonkang/albums/7194↩
[6]Larousse de Poche 2013, Paris, Editions Larousse, 2012, p. 324, a.↩
[7]https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Magic:_The_Gathering_artists↩
[8]https://www.bigar.com/articles/2019/03/20/steveargyle-interview.html↩
[9]http://www.artofmtg.com/artist-interview-anastasia-ovchinnikova/↩
[10]http://casualhornan.blogspot.com/2016/03/interview-with-cliff-childs.html↩
[11]MAY, Scott A. (1994), “Entertainment choice—Gabriel Knight: Sins of the Fathers”, in Compute!, 16 (6): 88–9↩
[12]https://web.archive.org/web/20090224012640/http://ww2.wizards.com/Books/Wizards/Bios/default.aspx?doc=nielsenterese↩
[13]https://twitter.com/Diablo/status/1190653428323647488↩
[14]https://hearthstone.gamepedia.com/Brom↩
[15]https://www.facebook.com/christopher.rush.568/posts/10153984408454018?pnref=story↩
[16]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/behind-canvas-john-avon-2002-12-26, ou encore http://casualhornan.blogspot.com/2014/08/interview-with-john-avon.html↩
[17]CHERRY, David (10/12/2016), “THE SELF INDULGENT AND VERY LONG DETAILED BIOGRAPHY”, David Cherry, 25/12/2018, https://davidcherryart.com/artist-info/detailed-bio/↩
[18]https://www.tunnelsandtrolls.com/grognardia-interview-with-liz-danforth-in-2009/↩
[19]https://en.wikipedia.org/wiki/Wasteland_(video_game)↩
[20]https://en.wikipedia.org/wiki/Kev_Walker↩
[21]https://illustrationfriday.com/2014/02/interview-rebecca-guay/↩
[22]https://web.archive.org/web/20090224005441/http://ww2.wizards.com/Books/Wizards/Bios/default.aspx?doc=brom↩
[23]https://donatoarts.com/biography↩
[24]https://en.wikipedia.org/wiki/Roger_Raupp↩
[25]The Sandman n°1–4 (encrage), n°6–11, 14–16, 21, 28 (dessin), 1989–1991↩
[26]https://www.bigar.com/articles/2019/01/30/jespermyrfors-interview.html et encore http://casualhornan.blogspot.com/2015/08/interview-with-jesper-myrfors.html↩
[27]https://www.hipstersofthecoast.com/arting-around-the-sandra-everingham-interview/↩
[28]L’un des tous premiers jeux vidéo dignes de cette appellation est développé en 1962 par une équipe de jeunes chercheurs du MIT sous le nom de Spacewar! et s’inscrit déjà dans un contexte d’anticipation (Lacombe et Kieffer, 2011, p. 9), tout comme le prototype Space Travel en 1965-69 (Yes, A video game contributed to Unix Development [archive] – Dennis Ritchie, Unix Systems Programming, Université Harvard). Le premier jeu vidéo s’inspirant des jeux de rôle papier et de l’heroic fantasy est un jeu textuel développé de 1975 à 1977 par William Crowther et Don Woods intitulé Colossal Cave Adventure.↩
[29]http://www.vintagemagic.com/blog/christopher-rush/↩
[30]« […] surrealism, Eastern European creepiness, Cocteau, Artaud, Švankmajer, the Brothers Quay, etc. The intention was to create something that was more like a piece of music or an experimental film than a typical adventure comic book. » SINGER Marc, Grant Morrison: Combining the Worlds of Contemporary Comics, University Press of Mississippi, 2011, p. 52.↩
[31]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/making-arabian-nights-2002-08-05↩
[32]https://v1.escapistmagazine.com/articles/view/video-games/issues/issue_105/784-Richard-Garfield.3↩
[33]http://www.cardboardherald.com/podcasts/2017/2/1/episode-13-jesper-myrfors-artist-original-art-director-for-magic-the-gathering↩
[34]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/making-magic/rd-rr-2002-04-22↩
[35]http://casualhornan.blogspot.com/2016/03/interview-with-cliff-childs.html↩
[36]https://www.ausgamers.com/features/read/3564332, et https://web.archive.org/web/20080706140304/http://www.cecilvortex.com/swath/2008/04/21/an_interview_with_chris_metzen_part_one.html↩
[37]Interview de Samwise Didier, l’un des principaux concepteurs et illustrateurs de la série de jeux Warcraft : https://www.youtube.com/watch?v=8eZGLdMWpl8, 2’00”.↩
[38]« This timidity towards stylistic differences is down to marketing; they want a defined approach for branding purposes. This unified look is how they tie it up in a bow for licensees […] » https://www.bigar.com/articles/2018/10/03/peteventers-interview/.↩