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MTG 2 : ÉLOGE DE LA SOBRIÉTÉ

by Lame à l'Œilmai 22, 2020 in L'art dans Magic,

Je voulais que quelqu’un passant près d’une partie de Magic soit en mesure de regarder la table et de distinguer ce qui se trouvait sur chaque carte.

Jesper Myrfors, Casualhörnan

Des débuts économes

L’illustrateur d’un jeu de cartes doit faire face à une difficulté que les concepteurs de timbres-postes connaissent mieux que la plupart des peintres : la surface minuscule octroyée à l’œuvre. La lisibilité et l’immersion sont affectées par la complexité de la composition, plus que dans n’importe quel tableau classique. Il était fréquent, aux origines de Magic : L’Assemblée, de voir le sujet représenté sur un fond neutre, minimaliste voire abstrait, et la plupart du temps les compositions étaient d’une franche simplicité. Cela contribuait à rendre le sujet central de la carte lisible au premier coup d’œil, et favorisait une association mentale entre les différents sorts. L’enchantement Lance, par exemple, figure en toute simplicité une lance appuyée contre un rocher dans un paysage austère de roches et d’eau.

Notons au passage que ces deux éléments entreraient probablement en conflit avec la charte actuelle de WotC, puisqu’ils peuvent évoquer un paysage montagneux – lié dans Magic à la couleur rouge – ou aquatique – relié au bleu, bien entendu – alors que la carte est blanche. Mais ce qui nous interpelle ici est la sobriété du contexte : pas de personnages visibles, pas de héros transperçant de son arme étincelante un ennemi redoutable, pas même de flamboiement sacré nimbant l’objet. Une simple lance de chasse posée dans un décor mystérieux, qui semble attendre que se lève le rideau et que commence l’action, le récit ; qu’un héros vienne et s’en empare, que le joueur l’intègre à son histoire.

Cet enchantement prend tout de même le parti de donner une certaine importance aux éléments naturels et de figurer un décor relativement élaboré, au point de rendre l’épieu presque dérisoire par comparaison. Bien d’autres sorts anciens ne se donnaient pas même la peine d’accorder un cadre défini au sujet, plaçant celui-ci au centre d’un écrin monochrome ou l’entourant de vagues suggestions éthérées, avec une grande économie de moyens.

Ce souci originel de présenter des illustrations claires et lisibles même à distance malgré le format réduit est confirmé dans un entretien par l’artiste Dan Frazier[1]. Celui-ci témoigne qu’une consigne était bien donnée en ce sens par le directeur artistique ; son collègue Douglas Shuler précise qu’il leur était conseillé d’employer des arrière-plans unis, des couleurs vives et des personnages simples[2]. Il ne s’agissait donc pas uniquement de la résultante d’un manque de “virtuosité” ou d’expérience, mais bien d’une politique délibérée.

Certaines cartes anciennes optent pour un fond abstrait, comme le Mox Jet de Dan Frazier, figurant sur un décor de stries chatoyantes constitué de papier marbré comme on en trouve dans les vieux livres.

Tous les premiers Mox présentent par ailleurs cette même physionomie très simple : un objet de forme et de couleur spécifique présenté en gros plan sur un fond plat, ce qui le rend instantanément reconnaissable sur une table de jeu. Frazier regrette tout de même de ne pas y avoir consacré davantage de temps et d’attention, étant donnée la postérité remarquable de ces joyaux.

Une autre carte blanche, Pearled Unicorn, figure une licorne à la robe claire, bondissant de profil à travers une prairie sombre sous un ciel jaune crépusculaire.

L’image est presque dénuée de perspective ; le mouvement reprend les codes classiques de la représentation équestre ; aucun objet supplémentaire ne vient encombrer le champ visuel, et le paysage se réduit à deux bandes contrastées peu détaillées figurant l’herbe et le ciel. L’impression dégagée par l’illustration convoque la peinture pré-renaissante voire tout à fait médiévale. Le peintre n’est pas un virtuose technique, pourtant l’efficacité de l’image est remarquable, et impressionne la rétine plus durablement que bien des compositions savantes tout en transmettant au joueur les caractères essentiels de cette créature fantastique : grâce, fougue, noblesse, héroïsme. Le décor évoque très sobrement les grands espaces naturels sans primer sur le sujet, et le ciel doré suffit à conférer un aspect précieux à la scène.

Cherchons une autre carte véritablement « iconique », d’une remarquable efficacité et identifiable à plusieurs mètres de distance. Nous pouvons sans hésitation citer la Terreur telle qu’illustrée par Ron Spencer en 1993, qui exploite astucieusement le format même de la carte pour transmettre un sentiment de piège mortel, sans autre élément accessoire ni décor. Le personnage isolé dans les ténèbres, aux traits et à la physionomie déformés par une terreur absolue, écrasante, se recroqueville dans un coin du cadre, comme désespérément acculé.

Profitons-en pour ouvrir une parenthèse : l’intégration du cadre dans la composition constitue, là encore, une libéralité de la première direction artistique irrémédiablement perdue. Spencer, plus connu pour sa science des fluides et ses musculatures outrancières, excelle également à ce jeu avec le « quatrième mur », le cadre de l’illustration devenant littéralement une ouverture, ou peut-être dans le cas de cette Terreur primordiale un espace au contraire fermé, claustrophobe. Cet œil exorbité fixe t-il le responsable de sa damnation – le joueur lui-même – ou bien scrute t-il les parois du cachot ou du cercueil dans lequel le malheureux a été enterré vivant ? Inévitablement, nous songeons aux funestes aventures des personnages de Lovecraft ou d’Edgar Allan Poe, confrontés à d’abyssales et indicibles frayeurs. Le même artiste livre avec le Flot de vermines une pièce parfaitement répugnante dans laquelle les vers grouillants semblent avoir foré leur propre ouverture en dévorant le cadre de la carte à la façon d’une chair avariée.

Mais comment illustrer un sort dont l’effet est plus « dense », plus théâtral, que l’invocation (ou la destruction) d’une unique créature ? Il existe différents moyens d’esquiver le problème des dimensions, par exemple en donnant une emphase particulière à une figure ou une action située au premier plan, en reléguant à l’arrière-plan le reste de l’action ou des personnages, comme dans ce Cri de guerre :

Il est également possible de ne montrer le destin qui attend les victimes d’un maléfice qu’à travers un échantillon réduit de population, voire une figure esseulée (ici pour un Blizzard, une Variole et une Extinction) :

Ou même d’évoquer par un simple paysage vide de protagonistes les conséquences ultimes d’un sort d’Exil, livrant le spectateur aux grands espaces hostiles, au déclin (la ruine au second plan), à la solitude et à l’absence.

Un péché d’orgueil ?

Or, l’un des problèmes actuels, à mon sens, est la fréquente surcharge des compositions, étant donnée l’échelle finale des illustrations. Il s’agit également de l’opinion de Jesper Myrfors, le directeur artistique initial, qui juge entre autres que « […] l’art est […] trop encombré pour de telles dimensions[3]. » Selon lui, « La presque totalité de l’art [actuel, NdT] convient mal aux espaces restreints permis par les cartes. Les images se transforment en boue si elles ne sont pas observées de très près. […] Elles font de magnifiques affiches et impressions, mais pas de bonnes cartes. » Les sorts ci-dessous, tirés de l’extension Ikoria (2020), sont assez représentatifs de ce défaut.

D’un point de vue historique, il est très intéressant de relever que le Style Guide (liste de prescriptions graphiques destinée aux illustrateurs) édité pour la sortie de Champions of Kamigawa dans les années 2000 mentionnait encore dans un court passage cette nécessité inhérente au format réduit du jeu : l’illustrateur est incité à préférer les compositions simples et contrastées, à ne pas laisser l’arrière-plan empiéter sur le premier plan, et à éviter l’emploi de trop nombreuses couleurs pour ne pas accoucher d’une pièce « encombrée » ou « boueuse »[4]. Cet aspect, qui faisait partie des rares contraintes présentes dès Alpha en 1993, était donc formalisé dans ce guide datant de 2004. En 2005, le sujet était considéré comme suffisamment important pour faire l’objet d’un article détaillé, publié par le concept artist Matt Cavotta sur le site officiel du jeu[5]. Il est pourtant légitime de se demander si la consigne est toujours donnée aujourd’hui, comme nous le verrons.

Les contraintes techniques de la première époque influencèrent aussi la sobriété du rendu final. Les illustrations devaient être délivrées, physiquement, sur un format réduit proche du A4 voire inférieur pour être scannées – la peinture originale du Black lotus mesurait 12,7 x 17,8 cm[6]. Le travail sur papier ne permettant aucun zoom, les artistes ne pouvaient raisonnablement multiplier les détails et la complexité de la pièce. La nécessité de réaliser des études préparatoires et des esquisses au crayon, le temps d’application et de séchage de la peinture, les contraintes de livraison, imposaient des temps de réalisation assez longs et décourageaient la surenchère visuelle au profit de compositions simples et efficaces[2].

Brenda Maddocks et l’illustration originale des Llanowar Elves, par Anson Maddocks

A rebours de cette sobriété, les illustrations actuelles s’emploient souvent à décrire de véritables scènes, et le sujet de la carte se perd un peu dans la narration, alors même que les illustrateurs maîtrisent parfaitement les règles de composition. Il s’agit bien entendu, là encore, d’une tendance plus que d’une règle absolue.

Attardons-nous sur une comparaison. Aucun individu de bonne foi et doté d’au moins un œil fonctionnel ne pourrait me semble t-il affirmer que le vieux Savannah Lions de Daniel Gelon est techniquement supérieur au Lynx bondissant (Pouncing Lynx) de Sidharth Chaturvedi, illustration dont l’équilibre et le dynamisme ont d’ailleurs fait l’objet d’une brève analyse de la part de Rhystic Studies[7].

Au format carte, l’identité du sujet et le caractère féroce du fauve sont pourtant plus malaisés à discerner immédiatement par le joueur – ou le spectateur – sur la carte récente que sur l’antique Alpha, malgré le caractère un peu maladroit du dessin de cette dernière. Le jeune lynx de Chaturvedi (à droite et ci-dessous) occupe une bien moindre fraction de l’image, n’étant situé qu’au second plan et décentré. Le peintre joue sur les obliques des lignes de fuite pour créer une véritable profondeur, accompagnant et anticipant le mouvement de la bête, qui semble fixer l’observateur vers lequel elle s’apprête à s’élancer. De nombreuses figures soumises à un mouvement de panique l’entourent, habillées de drapés savamment exécutés. Enfin, l’arrière-plan est lui-même occupé par des structures urbaines relativement complexes.

L’illustration de Gelon quant à elle se contente de jeter au premier plan un lion en plein bond, sa patte antérieure démesurément grossie pour en accentuer l’effet ; un deuxième félin de taille réduite est figuré à l’arrière plan pour évoquer le groupe ; le décor très simple est constitué d’un ciel à peine esquissé et d’une savane sommairement rendue par une surface jaune et quelques rochers disséminés ça et là. Le Lynx est ici supérieur aux Lions sur bien des points : il échoue pourtant partiellement dans sa mission première, qui consiste à illustrer une carte à jouer, là où les Lions atteignent pleinement l’objectif.

Quid du contexte de l’extension me demandera-t-on ? La foule et le décor urbain du Lynx figurent en effet l’immense cité-monde de Ravnica, cadre incontournable pour toute carte appartenant à cette édition. La synthétisation devrait être ici primordiale. Il me semble qu’il était possible d’évoquer un tel environnement sans pour autant représenter des bâtiments précis, dont les architectures élaborées contribuent à surcharger l’image ; on aurait pu recourir par exemple à un sobre décor de murs et de pavés, ou à de vagues silhouettes à l’arrière-plan.

Certains verront une part de provocation dans cette critique, puisque l’analyse livrée par Rhystic Studies met principalement en avant la clarté et la lisibilité immédiate des œuvres de Chaturvedi. Pour l’essentiel, ce point de vue est fondé. Mais il ne l’est pas pour un format miniaturiste, dans le cas d’une pièce comme notre lynx. Soyons justes néanmoins : certaines illustrations du même artiste ne souffrent pas de ce défaut, comme en témoigne son Bouquetin prospère, qui opte pour une composition plus sobre.

Avant-garde d’Adanto (Adanto Vanguard) est un autre exemple de belle image et de ratage virtuose dans le contexte d’une carte à jouer, lié à une volonté de « trop en montrer ». A nouveau, l’illustration choisit d’exposer une véritable scène, au détriment du sujet. Nous y admirons une sorte de vampire-conquistador blanc – sa cape est blanche pour rappeler qu’il s’agit d’un « gentil », et un rayon de lumière divine filtre à travers le feuillage. L’image le saisit alors qu’il combat un imposant dinosaure théropode à plumes mesurant plusieurs fois sa taille, à l’instant paroxystique où le soldat bondit sur son adversaire, enfonçant sa lame dans l’abdomen du monstre. Là encore la composition est très dynamique, les obliques des rayons de soleil et des pattes du prédateur répondant à celles des jambes du héros, de sa cape et de son épée, pour accentuer la force de ce violent mouvement ascendant vers la droite.

Pourtant l’illustration échoue à rendre reconnaissable et mémorable son sujet, qui n’est pas une bataille entre un conquistador et un saurien, mais le seul conquistador. L’artiste éclaire le soldat vampire pour le mettre en valeur ; il n’en est pas moins diminué par la masse de son adversaire ; ainsi son visage est trop réduit pour être déchiffrable. Pour aggraver les choses, une petite silhouette humaine est discernable sur ou derrière le dos du dinosaure (peut-être un cavalier désarçonné), sans que l’on comprenne au premier coup d’œil quel est son rôle dans la scène ou ce qu’elle fait là ; sa présence contribue à rendre l’image encore plus confuse. Malgré le caractère déjà très chargé de l’ensemble, l’artiste cherche encore à ébaucher un décor de jungle dans les rares espaces libres, aggravant la surcharge pondérale jusqu’à l’obésité.

Certaines de mes connaissances jugent l’illustration réussie et fonctionnelle. Bien que je ne partage pas cette opinion – au moins concernant le second point – je veux bien admettre à la rigueur que l’œuvre puisse se prêter à la représentation d’un rituel ou d’un éphémère, c’est-à-dire d’une carte propre à représenter l’effet d’un sort ponctuel sous la forme d’une interaction, en l’occurrence entre différentes créatures. Ce n’est pas le cas ici, puisqu’il s’agit en principe d’une unique créature. En outre, la pièce impose en quelque sorte au joueur ou au spectateur l’idée que l’Avant-garde d’Adanto combat des dinosaures, affaiblissant potentiellement l’image mentale d’un affrontement face à d’autres types d’ennemis.

L’idée générale était certainement de mettre en exergue la force et l’intrépidité du vampire en le plaçant face à un adversaire plus gros que lui. Il est cependant possible d’illustrer autrement force et bravoure, avec davantage de finesse, afin d’autoriser une « présence » plus marquée du personnage-titre. La carte Rashida la désquamatrice (Rashida Scalebane) éditée en 1996 pour Mirage figurait également un combattant fort et valeureux, ou plutôt une combattante.

L’illustrateur fit le choix de représenter sa guerrière seule, au repos, adossée à un simple décor d’arbre sans grande profondeur, qui suffit pourtant à figurer une forêt. Les caractéristiques du personnage ne passent pas par un combat épique mais par la tension entre ses attributs et son attitude de feinte décontraction : le modelé des muscles noueux est mis en valeur par une lumière oblique, l’épée posée sur l’épaule ressort contre l’écorce brune, le visage est serein mais déterminé. La posture relâchée, démentie par la présence de l’épée, par la musculature et l’expression, permet à l’héroïne de dégager une impression de grande confiance en ses capacités martiales. Son statut de tueuse de dragons est indiqué par son surnom, ainsi que par le texte de règles – qui l’autorise à détruire n’importe quel dragon en combat – et par le texte d’ambiance en italique, lequel insiste sur la motivation morale justifiant sa vocation guerrière. Sobre, efficace : l’imagination du joueur fait le reste.

Pourquoi une telle tendance à la démonstration technique chez les illustrateurs ? Le fait de ne recourir de nos jours qu’à des artistes reconnus et très expérimentés aurait pu constituer un élément d’explication, en cela que les illustrations qui leur sont proposées auraient pu être envisagées par eux et par leurs employeurs comme autant de défis à relever, amenant à déployer tout l’éventail d’un savoir-faire dans des compositions complexes et brillamment équilibrées. L’examen des cartes appartenant à une période intermédiaire, comme celles du bloc Tempête (ou de Mirage déjà cité) vers 1997, semble infirmer cette supposition. En effet, le succès mondial de Magic est alors une chose acquise depuis plusieurs années, et le jeu attire déjà à lui des artistes renommés et expérimentés, comme le célèbre Brom ou encore Tony DiTerlizzi, déjà connus pour leur travail sur Donjons & Dragons et d’autres licences ludiques. Or, la majorité des visuels édités durant cette ère n’en demeurent pas moins relativement simples dans leur composition, nonobstant la carrière et la virtuosité de l’illustrateur.

Les limitations plus drastiques imposées aujourd’hui aux artistes recrutés pourraient, paradoxalement, induire aussi une tentation : celle de distinguer des images plus que jamais semblables car soumises aux mêmes conventions visuelles, en jouant sur la diversité des compositions, amenées de ce fait à se complexifier pour mieux se singulariser. Cela reste une possibilité. Ces limitations pourraient aussi pousser nos illustrateurs à exprimer dans la composition la liberté qui leur est refusée en matière d’iconographie ou de choix des couleurs. Nous verrons cependant que leurs possibilités sont, en ce domaine comme en d’autres, sévèrement bridées.

Les évolutions technologiques sont-elles en cause ? Le médium numérique, sur lequel nous nous pencherons plus avant, pourrait effectivement inciter ses utilisateurs à faire assaut d’arrière-plans architecturés et de perspectives grandioses, aiguillonnés par la rapidité et la facilité d’exécution offertes. Là où les artistes de la « vieille garde » rechignaient à se lancer dans des constructions nécessitant une méticulosité et une patience incompatibles avec leurs deadlines serrées, l’usage de logiciels de modélisation 3D rend désormais aisée la fabrication d’une image mettant en jeu des volumes complexes. Il s’agit là d’un facteur « incitatif » plutôt que d’une cause primaire, mais son rôle demeure très plausible.

Des facteurs économiques ?

Mais alors quelle est cette cause primaire ? L’une des raisons principales au trop fréquent « encombrement » graphique réside en fait, vraisemblablement, dans le marketing : les pièces actuellement exécutées par les artistes de WotC doivent pouvoir se prêter à plusieurs usages. Tirages limités sur grand format, packaging, livres d’art, posters, habillage de site internet, imagerie promotionnelle… Ron Spears a décrit la difficulté de délivrer les illustrations pour Akroma, ange de la Colère et Phage l’Intouchable en se conformant strictement au design antérieurement établit par l’artiste RK Post, tout en produisant une image double destinée à orner une couverture de livre, à servir de packaging, également pensée pour être divisée et recadrée afin d’illustrer les cartes de ces deux personnages[8]…

Notons que ces toutes dernières années, le phénomène des tapis de jeu illustrés ou playmats a pris davantage d’ampleur ; l’offre semble s’être considérablement diversifiée[9]. Par leurs dimensions (environ 60 x 35/40 cm en moyenne), ceux-ci se prêtent bien à des compositions complexes et à de véritables mises en scène. L’adaptabilité aux fins de produits dérivés paraît donc pouvoir expliquer au moins en partie cette sophistication des œuvres aux dépens de leur lisibilité.

Ajoutons que l’illustration elle-même semble de plus en plus envisagée en tant que pièce indépendante, comparable à un tableau dont la virtuosité doit séduire tant le joueur que le collectionneur potentiel. L’idée est d’ajouter à la valeur d’une carte dans l’environnement du jeu la plus-value esthétique apportée par une illustration spectaculaire, mais aussi de l’autonomiser par rapport à cet écosystème pour faire de chaque carte un « tirage » artistique.

Le recours à des illustrateurs déjà connus peut s’expliquer aussi dans cette perspective ; les designs alternatifs édités par exemple pour le Trône d’Eldraine permettent de créer des espaces où certains artistes connus sur le marché de l’illustration mais ne correspondant pas aux normes du jeu peuvent s’exprimer, en marge du schéma esthétique standardisé, afin d’ajouter à la valeur d’une carte une signature prestigieuse. Cette volonté de considérer chaque carte et son illustration de manière indépendante vis-à-vis du jeu proprement dit renforce probablement en retour la tendance à « charger » une œuvre, même destinée à ce format réduit.

Enfin, un autre paramètre doit être évoqué, étroitement lié aux précédents : la tendance très cinématographique des visuels du jeu participe manifestement d’une même stratégie marketing globale, influençant des illustrations dont la vocation n’est pas toujours de fournir des pièces agrandies pour le packaging ou les produits dérivés. Les poses héroïques et les « arrêts sur image » de scènes d’action constituent l’essentiel du répertoire graphique actuel ; les liens avec la culture hollywoodienne et les jeux vidéo de masse seront abordés dans d’autres articles, car il s’agit d’un courant de fond irriguant toute l’esthétique de ce jeu de cartes. Pour l’heure, contentons-nous de relever que les formats d’un écran d’ordinateur, d’un téléviseur ou a fortiori d’une toile de cinéma n’ont rien de comparable avec celui d’une carte à jouer.

Une scène composite

Une caractéristique contribue à séparer jeux de cartes et loisirs électroniques : il est très rare que ces derniers sollicitent plus d’un ou deux écrans, un écran affichant en général une seule scène distincte. Au contraire, Magic au format papier est constitué de nombreuses « fenêtres » en interaction, chaque carte étant dotée d’une illustration autonome. Si dans le cas du jeu de cartes nous nous autorisons à parler de « scène » au sens d’un état de la partie à un moment « T », alors il faut comprendre que cette scène peut (et devrait) englober l’ensemble des cartes étalées sur le champ de bataille ainsi que celles placées dans le cimetière, sans oublier celles qui se trouvent dans les mains des joueurs. Ces derniers ont sous les yeux, à chaque instant, entre sept et plusieurs dizaines d’illustrations, en comptant bien sûr les sorts et terrains de l’adversaire. Toutes ces cartes sont reliées par le réseau d’interactions potentielles définies par les règles.

Par conséquent, une carte qui propose pour elle seule une scène autonome, comme celles que nous avons vues, compliquera la lecture de l’ensemble ; si toutes les cartes présentes, ou la plupart, donnent à voir des compositions complexes agencées elles-mêmes comme de véritables scènes, leur juxtaposition dans l’espace de jeu ne peut qu’aboutir à une grande confusion visuelle, démultipliant les opérations optiques, brouillant de fait la visualisation des interactions en cours. Voilà comment nous en arrivons au « magma » indéchiffrable dénoncé par certains anciens illustrateurs, comme J. Myrfors ou P. Venters. Ce résultat est aggravé par la surenchère de reflets, les volumes complexes, le traitement réaliste des ombres et des éclairages, les effets lumineux spectaculaires, qui constituent autant d’informations graphiques encombrant le champ de vision.

« Au diable les barbouillages » s’exclameront certains, « les joueurs n’ont besoin que des informations textuelles figurant sur les cartes. » Dans l’absolu c’est exact, les cartes pourraient n’être que des pièces de carton vierges de toute illustration, comme certains des prototypes de la première édition, imprimés de façon sommaire pour réaliser des parties-tests.

Pourtant les illustrations existent, elles sont bien visibles par les joueurs et participent de leur expérience, que nous le voulions ou non. Outre l’agrément visuel qu’elles procurent – j’ose le croire – à une majorité d’entre nous, rappelons que ces illustrations ne sont pas exemptes de toute fonction liée au gameplay. En étant associées à des cartes spécifiques, elles permettent d’identifier plus rapidement et aisément celles-ci sur une table encombrée : essayez d’imaginer un champ de bataille jonché de cartes simplement identifiées par leurs titres et leurs caractéristiques sous forme écrite, et vous serez sans doute nombreux à convenir de l’aspect fastidieux d’une telle partie, à plus forte raison si les joueurs ne connaissent pas parfaitement leur deck ou celui de l’adversaire.

De plus les illustrations, même si elles se déclinent fréquemment en plusieurs versions, peuvent fournir une aide afin d’identifier plus rapidement une carte dont le texte est écrit dans une langue que nous maitrisons mal. Ces observations s’appliquent également au simple spectateur d’une partie. Le fait de complexifier la composition et le décor d’une image semble donc en contradiction avec la volonté d’ergonomie et de lisibilité proclamée par WotC à chaque modification du design général des cartes.

Des balises visuelles

L’idée d’associer texte et image dans une perspective mnémonique ou de distinction de différentes unités textuelles est sans doute ancienne ; elle constitue l’une des hypothèses formulées par les chercheurs pour expliquer la présence des marginalia étranges et grotesques qui décoraient parfois les bordures des manuscrits médiévaux. Même lorsque ces petites enluminures ne présentaient pas de rapport évident avec les écrits qu’elles jouxtaient, elles pouvaient aider à mémoriser et à retrouver plus rapidement un passage important au sein d’un texte dense. Leur simplicité et leur incongruité souvent teintée d’humour pourraient avoir été les gages de leur efficacité.

Cela justifierait le caractère pour le moins surprenant de nombre d’entre elles, et leur présence jusque dans les textes sacrés malgré un penchant graveleux ou irrévérencieux vis-à-vis de l’Eglise. Bien sûr il ne s’agit pas de nier le caractère également ludique de ces images, mais ces différentes fonctions ne s’excluent pas mutuellement.

Psautier de Lutrell, 1325-1340, British Library
Psautier de Rutland, vers 1260, British Library

Dans le contexte de Magic, les illustrations peuvent de la même manière être envisagées comme des « aides-mémoire », ou plus justement comme des repères visuels permettant au cerveau de retrouver ou de distinguer rapidement une référence textuelle. N’oublions pas d’ailleurs que les images interviennent à un autre moment dans une partie ou durant la construction/modification d’un deck : dès lors que le joueur « feuillette » sa bibliothèque pour y trouver une ou plusieurs cartes, l’opération est grandement facilitée par ces repères graphiques. Et il n’est pas interdit de postuler que l’originalité et la simplicité relative d’une illustration concourent à l’identification du sort ou du terrain parmi les dizaines de cartes d’une bibliothèque – ou les centaines de cartes d’un classeur.


[1]https://www.bigar.com/articles/2019/07/17/danfrazier-interview.html↩

[2]https://www.bigar.com/articles/2018/10/17/douglasshuler-interview.html↩

[3]http://casualhornan.blogspot.com/2015/08/interview-with-jesper-myrfors.html↩

[4]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/savor-flavor/magic-style-guide-part-1-2005-09-07↩

[5]https://magic.wizards.com/en/articles/archive/big-deal-about-little-pictures-2005-02-21↩

[6]https://www.coolstuffinc.com/a/vorthosmike-10232019-the-sketches-of-black-lotus↩

[7]https://www.youtube.com/watch?v=TVPsUHU7S2M&t=223s↩

[8]https://www.bigar.com/articles/2018/07/18/ronspears-interview.html↩

[9]Les nécessités induites par ces formats sont notamment expliquées sur la chaîne Rhystic Studies au début de l’épisode sur Vincent Proce, à 0’20’’, https://www.youtube.com/watch?v=mCAeb9rDin4&t=179s↩

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